Les soins virtuels au Canada — Dr Onil Bhattacharyya

Dr. Onil Bhattacharyya

38 min | Publié le avril 13, 2023

Durant la pandémie de COVID-19, les soins de santé virtuels ont connu une montée fulgurante, offrant aux Canadiens un accès sans précédent aux professionnels médicaux en ligne. Maintenant que les répercussions de la pandémie se font moins sentir au quotidien un peu partout au pays, beaucoup de gens se demandent s’ils auront toujours accès à cette option si pratique dans l’avenir. Dans cet épisode du BISC, l’animatrice Alya Niang s’entretient avec le Dr Onil Bhattacharyya, titulaire de la chaire de recherche Frigon-Blau en médecine familiale du Women’s College Hospital à Toronto et directeur de l’institut pour les solutions des systèmes de santé et les soins virtuels de cet hôpital, au sujet de l’avenir des soins virtuels au Canada et des raisons pour lesquelles il tient autant à l’expansion de ce type de soins. 

Cet épisode est disponible en français seulement.

Transcription

Alya Niang

Les Canadiens ont accueilli la médecine virtuelle lorsque la COVID-19 a poussé une grande partie du pays à utiliser des téléphones ou des ordinateurs pour les soins de santé.

Les données de l’Institut canadien d’information sur la santé montrent que le nombre de patients ayant bénéficié de services virtuels a quadruplé par rapport à la période prépandémique.

Cela ne surprend en aucun doute des médecins comme le docteur Onil Bhattacharyya.

Docteur Bhattacharyya est directeur de l’Institut pour les solutions en matière de systèmes de santé et les soins virtuels, médecin de famille, professeur associé et titulaire de la chaire Frigon-Blau de recherche en médecine familiale au Women’s College Hospital.

Dr Onil Bhattacharyya

Et ce n’est pas banal comme changement.

Vraiment, quand on pense à la façon que les services étaient organisés dans le passé, on limitait l’accès parce qu’il fallait appeler le bureau, avoir un rendez-vous, se déplacer et tout ça, qui faisait en sorte que plein de gens ne se présentaient pas, même s’il avait besoin des soins.

Alya Niang

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Ici Alya Niang, l’animatrice de cette conversation.

Rappelez-vous que les opinions et les commentaires de nos invités ne reflètent pas nécessairement ceux de l’ICIS. Cependant, il s’agit d’une discussion libre et ouverte et l’émission d’aujourd’hui porte sur le rapport de l’ICIS sur l’expansion des soins virtuels.

Les Canadiens les voulaient, nous les avons finalement obtenus. Maintenant, quelle est la prochaine étape?

Bonjour docteur Onil, bienvenue au Balado.

Dr Onil Bhattacharyya

Bonjour et merci de m’avoir invité.

Alya Niang

Docteur Onil, certes les soins virtuels existent depuis bien des années, mais la pandémie a vraiment joué un rôle déclencheur à l’adoption de ces derniers.

Pourquoi cela alors que les Canadiens étaient intéressés depuis bien longtemps?

Dr Onil Bhattacharyya

Alors, l’utilisation des services virtuels a à peine changé sur quasiment une décennie. Quand on regarde ça, ça a à peine changé. Puis là, en mars 2020, grosse augmentation, jusqu’à 80 % des interactions ambulatoires sont à travers des soins virtuels.

Pourquoi? La pandémie avait un mandat de distanciation physique, faisant en sorte que les gens ne pouvaient pas et ne voulaient pas recevoir les soins en personne s’ils pouvaient l’éviter.

Mais également, de façon encore plus importante, il y avait le moyen d’être payé pour ces services d’une façon qui était différente.

Dans le passé, mettons en Ontario, on avait des cotes pour les soins virtuels, mais seulement à travers un système du Ontario Telemedicine Network qui était assez limité.

Et quand on a changé pour dire, ah oui, c’est bon pour le téléphone, puis c’était juste le vidéo. Mais là, quand on a dit que le vidéo, le téléphone, par n’importe quelle plateforme, tout était accepté et on est payé de façon égale aux services en personne, ça, avec la distanciation sociale, ça fait en sorte qu’il y a une augmentation massive.

Alya Niang

Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les soins virtuels en médecine et comment ils modifient la prestation des soins de santé?

Dr Onil Bhattacharyya

Donc, au cœur des soins virtuels, c’est l’idée que les soins sont séparés dans l’espace, mais aussi potentiellement dans le temps.

Alors, on donne les soins à travers le téléphone, le vidéo ou les textos où on communique par vive voix ou par vidéo ou par des textes de plusieurs modalités, de plusieurs façons.

Mais ça, c’est au cœur des services et donc ça permet de transmettre toutes sortes d’informations, des vidéos, des photos de lésions, une série d’informations sur les pressions sanguines, etc.

Mais à la clé, ce que ça change pour moi, c’est l’idée de séparer la visite qui est un événement synchrone, en personne, à quelque chose, toutes sortes de modalités d’échange qui peuvent être en même temps, synchrone ou asynchrone, comme le texto ou les courriels.

Alya Niang

Et est-ce que ces soins virtuels, tel que nous les avons pratiqués pendant la pandémie, est-ce qu’ils fonctionnent?

Dr Onil Bhattacharyya

Est-ce qu’ils fonctionnent? Bon, ils ont permis la distanciation sociale, ils ont permis certainement de maintenir un accès adéquat pendant une période de distanciation sociale.

Mais il faut dire que le but, c’était de minimiser la transmission du COVID et pas d’améliorer la qualité des soins.

Maintenant, trois ans plus tard, on commence à penser davantage en quoi ça aide, ça soutient ou ça améliore les soins.

Mais pendant certainement les deux premières années, on ne pensait pas à ça.

Alors, ce que je dirais, c’est que ça a aidé de certaines façons, mais que le potentiel est encore à venir.

Alya Niang

Effectivement. Et comment les soins virtuels ont-ils amélioré l’accès aux soins, en particulier dans les zones rurales ou mal desservies?

Dr Onil Bhattacharyya

Alors, la façon la plus évidente, c’est qu’on a accès à un médecin ou une infirmière sans se déplacer. Et ce n’est pas banal comme changement.

Vraiment, quand on pense à la façon que les services étaient organisés dans le passé, on limitait l’accès parce qu’il fallait appeler le bureau, avoir un rendez-vous, se déplacer et tout ça, qui faisait en sorte que plein de gens ne se présentaient pas, même s’ils avaient besoin des soins parce qu’il y avait un emploi à temps plein, ils vivaient loin, ils ont des problèmes de mobilité, ils ont des petits enfants, il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles les services n’étaient pas accessibles.

Alors qu’avec les soins virtuels, ça permet à toutes sortes de personnes de recevoir les soins.

Moi, j’ai des patients, des travailleurs sociaux qui sont à l’hôpital entre deux cliniques qui m’appellent.

Il y a des gens qui travaillent dans une usine, qui trouvent un endroit tranquille pour prendre rendez-vous, qu’ils ne pouvaient pas faire autrement.

Alors, je pense que ça, c’est peut-être l’aspect le plus notable.

Alya Niang

Mais j’imagine qu’il y a des limites. Est-ce que vous pouvez nous expliquer, en fait, le type de services médicaux qui peuvent être fournis efficacement par le biais des soins virtuels?

Dr Onil Bhattacharyya

Alors, si on considère les soins virtuels comme une étape dans un épisode de soins ou dans les soins en général, on peut établir un agenda.

Moi, je suis un médecin de famille. Quand je vois un patient, la plupart des gens ne viennent pas pour une chose, ils viennent pour cinq choses.

Alors, on pourrait établir c’est quoi les cinq problèmes que vous avez et quels est-ce qu’on va régler aujourd’hui au téléphone, et quels on va voir la semaine prochaine après avoir fait une prise de sang, telle ou telle affaire. On vous voit en personne pour régler les autres trois.

Alors, c’est clair que quand on voit les soins virtuels comme une étape, on règle toutes sortes de choses. Ça, c’est une…

Il y a plein de problèmes d’ordre, mettons, de santé mentale qui se font bien à distance ou par vidéo ou par téléphone.

Et puis, les autres services, gérer la santé, une hypertension sanguine.

Avant, un patient venait me voir, je prenais une tension, je disais hop, elle m’a l’air un peu élevée, je vais augmenter votre médicament à TX. Maintenant, par téléphone ou vidéo, il m’envoie 50 pressions, je les regarde, je dis bien 80 % des pressions sont bonnes, il y en a juste 20 % qui sont élevées, je pense que c’est correct. Ou 80 % des pressions sont élevées, il faut augmenter votre médication.

Ça, c’est beaucoup plus fiable, c’est même meilleur que ce qu’on faisait avant.

Alya Niang

Mais vous êtes un médecin de famille et certains de vos collègues ont déclaré que les soins virtuels améliorent l’accès, mais au détriment de la qualité. Est-ce que vous êtes d’accord?

Dr Onil Bhattacharyya

Je vais dire que ce qu’on a fait pendant la pandémie, pour cette période-là, c’est tout à fait vrai.

Quand on faisait 80 % de nos soins de façon virtuelle, puis les gens avec les maux de dos, on disait OK, penche-toi, est-ce que ça fait mal, lèves ton pied comme ça, ce n’était pas bon. Ça, ce n’était pas de bons soins, mais on avait contraigné de façon excessive le contact physique.

Quand on est rendu à 37 % des soins virtuels, je pense que la qualité peut être nettement meilleure.

Il faut quand même évidemment choisir, mais pendant la pandémie, la période des vagues 1, 2, 3, le but, ce n’était pas d’améliorer les soins. Les soins étaient de moins bonne qualité parce que notre but c’était de minimiser la transmission du COVID, pas améliorer les soins. Ça, c’était dans la vague 1, 2, 3.

Maintenant, est-ce que c’est pire? Bon, il faut dire que j’ai fait plusieurs études, des révisions de littérature pour trouver des évidences que la qualité était pire, puis qu’il y avait du mal causé. On ne l’a pas trouvé.

Ça ne veut pas dire que ce n’est pas arrivé, mais on n’a pas d’évidence systématique que les soins étaient pires.

On peut penser probablement, dans certaines circonstances, oui. Mais là, passons aujourd’hui, 2023, le potentiel, on est encore dans une période où on a le potentiel d’améliorer les soins davantage.

Puis surtout quand on garde l’idée que les soins de santé incluent toutes sortes de choses. Le triage d’informations, tel patient, est-ce qu’il a besoin d’être vu dans deux heures, deux jours, deux semaines ou deux mois?

Ce processus est fait de façon virtuelle et souvent pas particulièrement bien fait. Cette espèce de triage de l’urgence, numéro 1.

Numéro 2, le diagnostic et le traitement, on en a parlé un peu. Mais une fois qu’on a un traitement, bon, le diagnostic, il y a des limites à ce qu’on puisse faire avec des photos par téléphone, par vidéo, mais on peut en faire quand même pas mal.

Mais l’autre, l’éducation, se fait très bien de façon virtuelle.

On envoie des informations, on voit des liens, on peut enregistrer la visite pour que le patient s’en rappelle mieux.

Il y a toutes sortes de choses qu’on ne faisait pas avant. La norme avant, c’est que je t’explique des choses pendant une visite. Toi, tu es stressé, tu te rappelles la moitié, puis tu rentres chez toi, tu n’as rien d’autre.

Maintenant, particulièrement avec un patient âgé, je fais un compte rendu de la visite.

Voici votre diagnostic, voici les quatre prochaines étapes dans votre traitement, vous allez faire ci, cliquez sur ce lien.

C’est nettement meilleur en termes d’éducation que ce que je faisais avant. Et c’est juste parce qu’on est plus confortable avec les outils maintenant.

Alya Niang

Personnellement, j’estime que les soins virtuels sont efficaces dans certains cas. Habituellement, je préfère les soins en personne, mais je l’ai testé avec le pédiatre de mon enfant et ça se fait très bien.

Je gagne du temps, ça prend un appel téléphonique et j’ai l’information qu’il me faut. D’ailleurs, des fois, j’envoie une photo à l’avance, par exemple, quand c’est une blessure. Et par la suite, la consultation se passe très bien.

Dr Onil Bhattacharyya

Oui, il suffit d’utiliser de façon appropriée, puis si on est autour de 30 %, c’est probablement…

La question c’est est-ce que c’est le bon 30 %? Les visites sont virtuelles, et ça, ça reste à voir.

Mais, si on parle encore sur le positif, pendant la pandémie, j’avais des patients qui avaient des naevus, des lésions, qui se disaient, est-ce que c’est un mélanome?

Alors, j’ai des photos de haute qualité, à six mois d’intervalle, sur trois ans. Puis je peux les mettre un à côté de l’autre, puis je compare la taille et l’aspect de l’image.

Je peux envoyer toute cette information-là à un dermatologue, puis il peut me dire, non, ça a l’air bon, ça a l’air bénin, ou hop, c’est un peu suspect, je vois ce changement ici.

Avant, qu’est-ce qu’on faisait? On regardait, puis si on prenait soin, on mesurait.

Mais on ne prenait pas des photos de toutes les lésions, puis on ne les mettait pas un à côté de l’autre pour voir sur trois ans qu’est-ce qui a changé.

Et maintenant, c’est devenu des trucs de routine.

Alya Niang

Effectivement. Et vous aviez dit tantôt que vous aviez fait des études.

Est-ce qu’il en existe, montrant que les soins virtuels sont efficaces et rentables?

Dr Onil Bhattacharyya

Alors, sur le plan efficace, oui, ce qu’on voit, bon, il y a les bénéfices en termes de temps, et la logistique pour les patients, ça, c’est assez unanime que c’est plus facile pour plusieurs patients, plusieurs types de patients.

Il y a beaucoup d’études qui démontrent, mettons pour le counseling que c’est équivalent.

Il y a certains types d’infections, mettons une infection urinaire, que c’est comparable.

Il y a certains trucs, mettons l’otite, c’est moins bon, ça ne me surprend pas. Malgré qu’il y ait certaines personnes maintenant qui utilisent, qui prennent une caméra, un otoscope avec caméra, que tu peux transmettre l’image. Peut-être on va voir des avantages, mais pour dire que c’est équivalent pour plusieurs trucs, en termes de la prescription d’antibiotiques, c’est mieux pour certaines conditions, moins bon pour d’autres.

Alors, c’est ce qu’il y a dans la littérature, ce n’est pas super systématique.

Ce qui est intéressant pour moi, c’est qu’en général, on compare en personne versus virtuel, est-ce que c’est comparable, oui ou non? Et on ne se pose pas la question, est-ce que c’est bon en général?

Parce qu’il y a plein de services en personne qui ne sont pas nécessaires, mais qu’on ne se pose pas la question.

Tu sais, les renouvellements de médicaments, ça se faisait, moi quand j’ai commencé ma formation, j’ai commencé à pratiquer il y a 20 ans, c’était la norme pour les patients de venir faire renouveler leur prescription, ce qui n’a aucun sens, c’est une perte de temps pour tout le monde.

Alya Niang

En effet, une vraie perte de temps.

Dr Onil Bhattacharyya

Alors ça, ce n’était pas des soins de qualité, mais c’était la norme. Alors que maintenant, on ne le ferait jamais.

Alya Niang

Docteur Onil, comment les soins virtuels se comparent-ils aux soins traditionnels en personne en termes de résultat et de satisfaction des patients?

Dr Onil Bhattacharyya

De façon générale, les patients aiment l’expérience des soins, ils trouvent que c’est plus facile, c’est plus facile à rentrer dans leur horaire. Par contre, il y a certains sous-types de patients qui préfèrent être vus en personne.

Mais quand on regarde les sondages, mettons par Infoway, ce qu’on voit, c’est que les patients veulent renouveler les médicaments, personne ne veut faire ça en personne.

Un examen physique annuel, la plupart des gens veulent le faire en personne et donc ça varie par condition.

Et je pense que c’est ça l’essentiel, c’est juste de s’assurer qu’on s’en sert pour le bon problème avec la bonne personne dans les bonnes circonstances.

Et je pense que ce qui est nouveau un peu, c’est l’idée, pendant la pandémie vraiment, c’était le médecin qui déterminait c’est quoi la modalité.

On ne demandait pas de façon systématique, aimeriez-vous qu’on fasse la visite en personne, par téléphone, par vidéo ou par texto?

On ne le demandait pas, on le faisait, vous avez un téléphone tel jour, le médecin va vous appeler tel jour à telle heure.

Ce qu’on essaie de faire maintenant, c’est de demander à chaque personne et de documenter leur préférence.

Et ça, ça va être des soins de qualité, mais on est au début de ce processus-là.

Alya Niang

Et maintenant le patient a le choix.

Dr Onil Bhattacharyya

C’est l’idée, c’est l’idée. Pour le texto, ils ne sont pas couverts dans la plupart des provinces.

Donc, c’est une modalité que je pense qu’il n’est pas offert de façon standard. Pour les textos bidirectionnels.

Quand on parle d’efficacité, les textos unidirectionnels du médecin au patient, c’est super efficace.

Alors, de un, vous êtes en retard pour votre dépistage de cancer du col utérin, s’il vous plaît, prenez un rendez-vous. Une clinique m’a dit, ils ont envoyé 1300 messages comme ça en deux minutes, puis 13 % des gens ont répondu.

Alya Niang

C’est excellent.

Dr Onil Bhattacharyya

Ça, c’est une efficacité énorme comparée au téléphone ou même envoyé par des lettres.

Alya Niang

En effet, très efficace.

Dr Onil Bhattacharyya

Ouais, alors ça, c’est clair.

Les autres exemples seraient, mettons, vous souffrez d’hypothyroïdie. On a fait une prise de sang. Le résultat revient. Votre prise de sang démontre que votre médicament ou que votre thyroïde, la fonction a baissé. On va changer votre médication.

On a envoyé telle affaire par fax et, s’il vous plaît, dans quatre semaines, faites une prise de sang. Voici la réquisition attachée ci-dessous. Ça, c’est une interaction de deux minutes. Super efficace, toute l’information est donnée.

Alors, il y a des trucs comme ça qui sont clairement plus efficaces. Mais il faut bâtir les outils, etc. pour atteindre vraiment le maximum.

L’endroit où ça n’a pas été efficace, c’est un triage qui est un peu fautif. Quelqu’un a besoin d’un rendez-vous dans mon horaire pour le téléphone. Je les appelle. Ils ont dit qu’ils ont mal au dos, ils ont telles, telles affaires.

Puis là, je dis, OK, écoutez, il va falloir que vous veniez demain à telle heure en personne. Alors là, on a deux interactions alors qu’on aurait pu avoir une. Mais si la visite est brève, ce n’est pas la fin du monde.

Alya Niang

Selon les données de l’ICIS, de janvier 2021 à mars 2022, environ le tiers des visites déclarées par les patients ont eu lieu sous forme virtuelle.

Et 38 % des consultations de médecins de famille, 27 % des consultations de spécialistes ont continué à se dérouler virtuellement.

Et durant cette période, les soins virtuels sont restés plus courants qu’avant la pandémie, bien que la proportion de consultations virtuelles ait diminué par rapport à 2020.

Docteur Onil, que faisons-nous pour les Canadiens qui n’ont pas de médecins de famille ou même d’infirmières praticiennes?

Dr Onil Bhattacharyya

Très bonne question et il y en a beaucoup. Les dernières données que j’ai vues, c’est 6,5 millions de personnes qui n’ont pas de médecins de famille, selon l’étude iCARE menée par Tara Kiran, un de mes collègues.

Mais non seulement ça, il y a 7 millions de patients, de personnes dont le médecin de famille a 65 ans ou plus. Et on reçoit 500 000 nouveaux immigrants par année.

Alors, si on s’imagine, dans 5 ans, le problème ne peut être pire que ce que c’est maintenant.

Alya Niang

C’est clair.

Dr Onil Bhattacharyya

Alors, qu’est-ce qu’on fait pour ces gens-là? L’idée pour le moment, c’est d’avoir comme des soins intermédiaires.

Puis, il y a plusieurs régions qui sont en train de tester des approches, mais si on avait une approche virtuelle ou téléphonique en premier, avec des médecins qui peuvent être dans la même province ou ailleurs, vous savez sans doute que comme dans le Canada, dans les Maritimes, il y a un manque aigu de médecins de famille, de sorte que ces services-là vont peut-être être donnés par des médecins qui sont dans d’autres provinces. Parce qu’on n’en a pas assez, mais bon.

Alors, il y a les soins virtuels purement. Et l’option, je pense, et ça, c’est ce que je pense où on s’en va, c’est où les gens auraient accès à des infirmières ou des paramédiques, des gens techniciens ambulanciers ou autres qui peuvent supplémenter les services en personne.

Alors, on pourrait avoir des soins virtuels par un médecin ou une infirmière praticienne avec du personnel sur place qui pourrait voir la personne.

Ensuite, avec l’idée que les patients, on va faire le tri, on va déterminer qui veut un médecin de famille, qui a un besoin urgent, et on commence à créer un programme d’attachement pour les gens qui en ont le plus besoin.

Mais c’est un travail, comment dire, en processus.

Alya Niang

Docteur Onil, nous avons l’impression d’avoir pris goût à la commodité avec l’utilisation des soins virtuels, mais les chiffres sont actuellement en baisse.

Certaines provinces réduisent les cotes de facturation pour encourager les médecins à pratiquer davantage la médecine en personne.

Également, 12 sociétés privées facturent les patients pour des visites virtuelles avec un médecin de famille, et en ce moment, Ottawa cherche à réprimer ses paiements en récupérant les paiements de transfert de santé des provinces qui les autorisent.

Est-ce que nous recevons des messages contradictoires?

Dr Onil Bhattacharyya

Absolument, absolument. Je pense que la plupart des gens pensent qu’on est allé trop loin pendant la pandémie et essaie de rééquilibrer.

C’est sûr que quand on parle des sociétés privées, il y a ces services qui sont uniquement virtuels, qui sont plus des services, le mot m’échappe, mais en tout cas des walk-in, ce sont des services épisodiques sans continuité dans les soins.

Certains gouvernements jugent que ce sont des services de moins de qualité, alors ils payent moins.

Un des buts, c’est évidemment d’essayer de limiter la croissance de ces services-là et de faciliter la continuité des soins.

Alors, ça, c’est un message. Et l’autre, je pense, en gros, c’est ils veulent essayer de rééquilibrer.

Le problème, si on revient à l’idée des patients qui ne sont pas attachés, de patients orphelins, c’est que si on limite les services purement virtuels, et on veut favoriser juste les soins qui ont en continuité, ça veut dire qu’il y a moins de rémunérations pour donner les soins aux personnes qui n’ont pas de médecins de famille.

Alors, c’est un groupe qui risque de souffrir.

Mais avec un pool limité de médecins, quelque part, on aimerait que plus de médecins donnent des soins en continu, compréhensifs, et moins donnent des soins épisodiques, purement virtuels.

Mais, en tout cas, on est dans une période de transition. Alors, juste pour dire, oui, c’est contradictoire, on ne sait pas exactement où on s’en va, mais d’ici deux ans, je pense qu’il y aura plus de clarté.

Alya Niang

Docteur Onil, l’un des points abordés dans le rapport de l’ICIS est que les soins virtuels au Canada semblent être à la traîne en ce qui concerne l’échange d’informations sur la santé des patients entre les prestataires de soins par rapport à d’autres pays.

Quel est le retard et qu’est-ce que ces autres pays ont que nous n’avons pas? Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous?

Dr Onil Bhattacharyya

Oui, ça dépend des pays, mais une chose, c’est les standards d’interopérabilité, de dire que tous les systèmes informatiques devraient être communiqués selon un standard qui est partagé, ce qu’on n’a pas au Canada.

Ça, c’est un.

Même aux États-Unis, ils ont fait beaucoup de progrès là-dessus, alors que nous, on ne l’a pas fait. C’est en processus, mais ça, c’est une chose.

L’autre, c’est de développer des systèmes d’échange d’informations qui sont gérés par le patient.

Alors, encore aux États-Unis, il y a tout un système d’échange d’informations sur la santé qui sont gérées par le patient.

L’idée, c’est que si l’information appartient au patient et si le patient veut que l’organisation A partage les informations avec organisation B, C et D, ils ont le devoir de le faire. Ce qu’on n’a pas ici.

On n’a pas le devoir de un, la capacité et le devoir de partager l’information.

Alors, ça, ce serait les plus grandes différences. Le manque de standards et le manque de, sur le plan légal, un devoir de le faire.

Alya Niang

Je comprends. Donc, est-ce que nous sommes en bonne voie?

Dr Onil Bhattacharyya

Je l’espère. J’ai espoir que, tu sais, c’est drôle parce que beaucoup des compagnies qui gèrent les informations, admettons au niveau des hôpitaux, ce sont des compagnies américaines qui ont déjà un standard qui est beaucoup meilleur que le standard canadien qu’on pourrait juste appliquer.

Par contre, les informations, les dossiers informatisés en soins de santé primaires sont canadiens pour la plupart. Et donc, il faudrait mettre la pression sur ces organisations-là. Ce que le gouvernement n’a jamais fait.

Il y a très peu de pression mise sur ces compagnies-là et on les laisse faire à leurs guides.

C’est encore une timidité dans les relations industrielles qui est particulière au Canada, que les autres pays ont été beaucoup plus agressifs. Protéger les soins des patients et du public envers ces compagnies-là.

Alya Niang

Parfait. Et docteur Onil, quelle est l’urgence pour les systèmes de santé de veiller à ce que les personnes vivant dans des zones isolées et rurales bénéficient d’un accès égal aux soins virtuels?

Quelles sont les lacunes technologiques qui subsistent?

Dr Onil Bhattacharyya

Alors, les lacunes, c’est surtout l’infrastructure pour la bande passante. C’est sûr que dans certaines régions, on a les satellites, mais c’est quand même assez limité.

Mais ce serait d’assurer un minimum. Bon, pour le téléphone, c’est quand même bien. La plupart des régions ont accès au téléphone, mais à travers la pandémie, on a démontré que le téléphone est un outil important et utile, accessible pour les soins. Alors, ça, déjà, on fait des progrès.

Mais la prochaine étape, ce serait d’améliorer la bande passante dans les régions rurales.

C’est intéressant. Je parlais avec quelqu’un de la Saskatchewan. Puis les services Internet sont donnés par SaskTel, qui les voient comme un bien public.

Alors que dans plusieurs d’autres provinces, c’est géré par une compagnie qui est comme… qui juge que c’est un service qu’on vend aux gens qui peuvent le payer, puis on investit dans l’infrastructure où c’est rentable.

Mais vraiment, la bande passante et l’accès à l’Internet, c’est comme l’électricité. Et ça devrait être vu comme un bien public et un bien de base, comme l’eau potable.

Alors ça, c’est une transition qu’on n’a pas vue encore dans la plupart des régions.

Alya Niang

Merci.

Docteur Onil, dans le cadre du dernier accord sur la santé conclu entre Ottawa et les provinces, une nouvelle stratégie pancanadienne en matière de données sur la santé a été annoncée.

Comment pensez-vous qu’elle aura un impact sur les soins virtuels?

Dr Onil Bhattacharyya

Donc, ça inclut toutes sortes de principes par rapport au patient, à qui appartient l’information et comment elle se partage.

Alors, je vois ça comme un outil important pour soutenir les soins virtuels. Alors, c’est une belle étape.

Le fait que ça soit inclus dans l’accord, je pense, c’est super important.

Et je pense que c’est une étape importante et vraiment une belle initiative.

Alya Niang

Et quelle est l’importance de l’adoption pancanadienne des dossiers médico-électroniques pour la croissance et le succès futurs des soins virtuels?

Dr Onil Bhattacharyya

Alors, les dossiers médicaux informatiques plus avancés, toutes ces fonctionnalités sont incluses. Les textos, les vidéos, l’audio, tout ça est déjà bâti dans le dossier informatisé, qui fait en sorte que c’est très facile d’avoir les interactions dont on a parlé.

Et particulièrement, une chose qui est intéressante… parce qu’idéalement, une interaction virtuelle se fait en plusieurs modalités. Je peux vous donner un exemple. Pendant la pandémie, je me rappelle, il y avait un enfant, je parle avec la mère, on est en train de discuter par téléphone, et là, j’ai besoin de voir l’enfant, on les met sur une vidéo, je vois une lésion, mais la résolution n’est pas bonne. J’ai dit, envoyez-moi une photo de la lésion, elle m’envoie une photo à haute résolution.

Et là, le diagnostic et tout, j’envoie par texto. Vous avez telle affaire, prenez tel médicament, et faites le suivi dans telle période. Et donc, c’est comme tout intégré. On a fait vidéo, textos, photos et audio, sans ouvrir quoi que ce soit, c’est tout dans mon dossier.

Alya Niang

C’est excellent.

Dr Onil Bhattacharyya

C’est ça, c’est super. Alors, ce genre de modalités, ça va seulement faciliter les services.

La prochaine étape qu’on n’a pas au Canada, mais qu’on voit beaucoup aux États-Unis, c’est un dossier qui est entièrement accessible au patient. Que le patient peut lire et même écrire dans son dossier médical.

Alya Niang

C’est excellent. Est-ce que c’est quelque chose que le Canada adoptera?

Dr Onil Bhattacharyya

Je pense que oui. C’est quand même… il y a du bon et du… tu sais, c’est qu’il y a des aspects qui sont plus difficiles, il y a un ajustement.

Mais l’avantage, c’est que, mettons pour le monitoring, le patient peut inclure leurs informations, leur pression sanguine, leur glycémie, toutes sortes de choses peuvent être incluses directement dans le dossier.

Alors, ça permet de rassembler toutes les informations. Alors, c’est un potentiel important.

Historiquement, le dossier médical informatisé, c’était bon pour la facturation et c’est un peu comme une version électronique de nos dossiers papier.

Ce qu’on veut dans l’avenir, c’est quelque chose qui est plus comme un tableau de bord, qui soutient la prise de décision et facilite la communication. Et c’est là qu’on s’en va.

Alya Niang

C’est génial.

Et on a beaucoup parlé d’obtenir plus de données de la part des provinces sur les changements. Donc, quel est l’impact d’avoir des données que l’on peut comparer dans l’ensemble du Canada en ce qui concerne l’avancement des soins virtuels?

Dr Onil Bhattacharyya

Plein de choses. Alors, de un, on a dit qu’on ne sait pas c’est quoi la proportion appropriée. On ne sait pas également comment facturer de façon pour améliorer la qualité des soins et l’utilisation appropriée des soins virtuels. On n’a pas la réponse.

Mais on a 13 régions qui ont 13 systèmes de facturation et on peut mesurer dans les six derniers mois comment étaient les soins virtuels. Si on a un changement dans la facturation, dans les six prochains mois, qu’est-ce qu’on voit comme changement? Et on compare ça 13 fois.

D’ici deux ans, on aura une très bonne idée de c’est quoi la meilleure façon de facturer pour les soins virtuels.

Alors, on peut prendre avantage de la variété naturelle à travers toutes les provinces et territoires pour apprendre comment faire, de donner ces soins.

Alya Niang

Docteur Onil, comment voyez-vous l’avenir des soins virtuels et comment évoluent-ils au-delà de la conversation téléphonique ou de l’appel vidéo?

Dr Onil Bhattacharyya

Pour moi, c’est que les soins virtuels soutiennent toutes les fonctions de base des soins de santé.

Alors, la fonction de triage, quand on pense qu’un médecin, mettons un médecin de famille à 1200 patients, ils ont toute une série de problèmes, qui a besoin de quoi, quand, on n’a pas une bonne réponse à ça.

Mais c’est une question auxquelles on peut répondre parce qu’on pourrait collecter, analyser les données, essayer de comprendre qui a besoin, de quoi les gens ont besoin à un moment, puis comment résoudre leurs problèmes, soit donc le triage d’informations, le diagnostic, on en a parlé un peu, le diagnostic et le traitement.

Ce qui manque en ce moment, c’est, mettons, dans les traitements, souvent, il faut plusieurs traitements ou plusieurs tests pour trouver un diagnostic, plusieurs traitements avant de trouver le bon.

Documenter la séquence des soins est plus facile à travers les soins virtuels parce que les échanges peuvent être documentés facilement et on a de l’information entre les visites qu’on peut inclure.

Alors, ça, c’est quelque chose que je pense qui va nous aider dans le diagnostic et le traitement.

L’aspect éducationnel, j’en ai parlé.

Le monitoring d’une population, du patient à haut risque, mais aussi du patient moyen, ça, c’est quelque chose qu’on ne fait presque pas, mais qu’on pourrait faire de façon routine à l’avenir.

Et la dernière chose, ce serait la coordination des soins entre les soins de santé primaire, les soins à domicile et les soins hospitaliers. De faciliter l’intégration des soins, encore se fait de façon plus efficace à travers les soins virtuels.

Alors, on est au tout début de commencer à développer toutes ces fonctions qui, à la base, sont les fonctions, ce sont les soins médicaux, mais la plupart des soins, on les fait de façon inadéquate jusqu’à présent.

Donc, les outils numériques qui nous aident à donner les soins virtuels nous permettent d’améliorer les fonctions de base des soins de santé primaire qu’on le faisait, moi, je trouve, de façon inadéquate dans le passé, mais qui nous permettent de faire ça de façon beaucoup mieux que ce qu’on faisait.

Mais encore, ça demande des changements organisationnels importants.

Alya Niang

Et, docteur Onil, est-ce que vous avez des craintes?

Dr Onil Bhattacharyya

Ma crainte principale, je vais dire que jusqu’à présent, les soins virtuels ont été utilisés, donc, comme on a dit, pour minimiser la transmission de COVID. Et maintenant, ils sont utilisés en partie parce que les patients le veulent, puis ça persiste.

Mais, je craindrais, c’est qu’on s’en va vers un service de, si on s’imagine la transition à Air Canada, des services en personne ou téléphoniques, et tout à coup, on s’en sert pour sauver de l’argent, puis limiter l’accès du public aux services de santé, ça, ça aurait une crainte.

Mais, je n’ai jamais entendu dire qu’on va changer pour le virtuel pour limiter l’accès et réduire les coûts.

Mais, parce qu’on peut dégrader les soins à travers les soins virtuels. Si c’était le but, il y a énormément de potentiel.

De faire en sorte que : ah, vous avez vu juste! on peut accéder par texto, puis là, on va décider si ça vaut la peine d’avoir un coup de téléphone, et sinon… on pourrait l’utiliser pour limiter.

Mais, pour le moment, je pense que l’idée, c’est plus qu’on ajoute des options.

Alya Niang

En fait, l’idée n’est pas de dégrader les soins, mais juste d’ajouter des options pour les patients et de faciliter les choses pour les patients.

Dr Onil Bhattacharyya

Exactement.

Alya Niang

Merci beaucoup, docteur Onil, pour le temps que vous nous avez accordé.

Ce fut un plaisir d’échanger avec vous sur un sujet aussi intéressant et important.

Merci encore.

Dr Onil Bhattacharyya

Merci, c’est un plaisir.

Alya Niang

Le rapport de l’ICIS sur les soins virtuels élargis ouvre la voie à de nombreuses discussions sur les sujets suivants.

Comment aller de l’avant?

Comment les provinces peuvent apprendre les unes des autres?

Et comment intégrer les soins virtuels et en personne de manière encore meilleure et durable pour répondre aux besoins des Canadiens et des prestataires de soins dans tout le pays?

Merci de vous joindre à notre discussion.

Notre producteur exécutif est Jonathan Kuehlein et un grand merci à Ieashia Minott et Avis Favaro, l’animatrice du Balado de l’ICIS en anglais.

Pour en savoir plus sur l’Institut canadien d’information sur la santé, veuillez consulter le site www.icis.ca.

N’oubliez surtout pas de vous abonner au Balado d’information sur la santé et écoutez-le sur la plateforme de votre choix.

Ici Alya Niang, à la prochaine!

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