Se retrouver à la place du patient — Alex Mihailidis

28 min | Publié le 8 juin 2021

Alex Mihailidis, l’un des principaux chercheurs à l’Institut de réadaptation de Toronto, a consacré sa vie au développement de technologies destinées à améliorer la vie des gens. Un terrifiant accident l’a amené à se faire traiter dans son propre établissement durant des mois, ce qui a changé pour toujours sa façon de voir les choses.

Cet épisode est disponible en anglais seulement.

Transcription

Alex Maheux

Bonjour, bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Je suis Alex Maheux et j’anime ce balado. Dans cette émission de l’Institut canadien d’information sur la santé, nous allons analyser les systèmes de santé du Canada avec des experts qualifiés. Restez à l’écoute pour en savoir plus sur les politiques et systèmes de santé, et sur le travail effectué pour favoriser la santé des Canadiens.

Aujourd’hui, nous recevons Alex Mihailidis, chercheur principal à l’Institut KITE du Réseau universitaire de santé de Toronto, professeur à l’Université de Toronto et directeur scientifique du réseau de centres d’excellence AGE-WELL. M. Mihailidis étudie les façons d’accroître l’autonomie et la sécurité des personnes âgées, chez elles et dans la collectivité. Il utilise l’intelligence artificielle pour surveiller leur bien-être et met au point des outils qui prévoient les changements de l’état de santé. Nous discuterons aussi d’un événement qui a changé sa vie il y a quelques années et qui l’a sensibilisé à la réalité de ses patients. Il nous racontera comment son accident l’a poussé à voir son travail différemment. Allons-y.

Bonjour Alex, bienvenue au balado. Merci d’être des nôtres.

Alex Mihailidis

Merci de me recevoir.

Alex Maheux

Vous avez passé presque toute votre carrière à aider à favoriser l’autonomie et la sécurité des personnes âgées chez elles et dans la collectivité. Pourquoi vous êtes-vous orienté vers les services à domicile? Et pourquoi est-ce si important que les personnes âgées restent à la maison le plus longtemps possible?

Alex Mihailidis

Mon histoire remonte à mes années universitaires, lorsque j’étudiais au baccalauréat en génie mécanique. En fait, je voulais me diriger vers le génie aérospatial. Tous mes stages et mes emplois étaient dans ce domaine. Malheureusement, quand j’ai obtenu mon diplôme, il n’y avait plus d’industrie aérospatiale au Canada. Les emplois étaient rares et j’ai été mis à pied.

J’ai donc dû réévaluer mes options et j’ai choisi en fin de compte de recommencer des études supérieures. Au cours de mes stages et emplois en ingénierie, j’ai réalisé que je voulais utiliser mes compétences dans un domaine différent qui me permettrait d’être en contact avec les gens et de résoudre des problèmes concrets. J’ai donc décidé d’entreprendre des études supérieures en génie biomédical, plus précisément en réadaptation.

J’en suis venu à orienter mes recherches vers les services à domicile et les technologies de maintien à domicile par hasard, à l’occasion d’une rencontre avec un homme âgé, qui était aussi ingénieur. Notre discussion n’a pas porté sur la conception d’appareils ou notre travail d’ingénieur, mais plutôt sur son rôle d’aidant naturel. Sa femme était atteinte de la maladie d’Alzheimer à début précoce, et il m’a parlé des difficultés qu’il avait à lui fournir des soins. Il devait rester avec elle tout le temps, la guider et lui faire des rappels. Il devait souvent composer avec des situations très difficiles, comme l’aider à faire ses besoins et sa toilette.

Soudain, il m’a dit : « Ça serait formidable si des ordinateurs pouvaient faire tout cela à notre place. » L’idée m’est restée, et j’ai dit à mon directeur de recherche que je voulais concevoir une maison intelligente pouvant aider les personnes âgées atteintes de démence à accomplir les activités de la vie quotidienne. Mon directeur était assez ouvert d’esprit pour me donner le feu vert. C’était il y a plus de 20 ans, et mon programme de recherche est vraiment parti de là.

Pour répondre à votre deuxième question, je reste dans ce domaine et je continue à développer mon programme parce qu’en réalité, tout le monde préfère rester à la maison. Ce problème n’est pas réservé aux personnes âgées. Nous voulons rester là où nous nous sentons bien. Nous voulons conserver notre réseau social et demeurer en contact étroit avec nos proches. Je ne pense pas que quelqu’un ait déjà dit : « J’ai envie de quitter ma maison et d’aller vivre en soins de longue durée ou en centre de soins infirmiers dans une pièce de 9 mètres carrés avec un lit et peut-être une table de chevet. »

Alex Maheux

Entouré d’inconnus.

Alex Mihailidis

Précisément. Et la recherche démontre que le maintien à domicile est meilleur pour la santé et le bien-être physique, mais aussi pour la santé mentale. C’est pour cette raison que nous continuons à chercher des moyens de mettre la technologie à profit.

Alex Maheux

Ce travail est très important. Alex, vous êtes aussi chercheur principal à l’Institut KITE, le centre de recherche de l’Institut de réadaptation de Toronto où vous utilisez l’intelligence artificielle pour faire évoluer les services à domicile et améliorer la vie des personnes qui souhaitent rester chez elles plus longtemps. Pouvez-vous nous en dire plus sur les innovations que vous avez développées par le passé et sur vos travaux actuels?

Alex Mihailidis

Bien sûr. Nos travaux ont beaucoup porté sur les maisons intelligentes, les maisons qui peuvent apprendre de l’utilisateur et s’adapter. C’est ici que l’intelligence artificielle entre en jeu. Par exemple, nous avons développé des technologies qui peuvent suivre les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer dans leurs activités de la vie quotidienne (se laver les mains, se brosser les dents, se préparer du thé, etc.), et leur faire des rappels comme le ferait un aidant naturel. L’intelligence artificielle accumule des connaissances sur la personne — ses préférences, ses capacités, ses incapacités — et en tient compte au moment d’interagir avec elle. Elle essaie d’adapter la technologie aux besoins du patient, ce qui est extrêmement important pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de n’importe quel autre type de déficience cognitive.

Aussi, nous avons beaucoup travaillé sur les technologies de détection automatique des chutes. À l’heure actuelle, la norme de référence demeure les dispositifs que les personnes doivent porter et activer au besoin pour obtenir de l’aide. Nous avons automatisé cette technologie en ajoutant des capteurs dans le milieu de vie. La personne n’a aucun dispositif à porter. Les capteurs détectent automatiquement les chutes et, grâce à l’intelligence artificielle et à la reconnaissance vocale, peuvent déterminer si la personne est blessée et quels secours appeler.

Ces temps-ci, nous travaillons surtout à perfectionner le côté prédictif de cette technologie. C’est formidable de pouvoir détecter les chutes automatiquement et d’appeler les secours, mais imaginez si nous pouvions prédire quelles sont les personnes à risque et mettre des mesures d’intervention en place. Nous avons donc travaillé à élargir notre rôle et nos fonctions d’apprentissage automatique afin d’y ajouter un élément de prédiction. Par exemple, il y a quelques années, nous avons mené un projet nous permettant de prédire, à partir des habitudes de mouvement des membres d’un foyer et avec un taux de précision d’environ 90 %, quelles personnes pouvaient développer une déficience cognitive comme la démence ou la maladie d’Alzheimer.

En ce moment, dans un établissement de l’Institut de réadaptation de Toronto, nous menons un projet visant à prédire les comportements agressifs des résidents. Maintenant, il est possible d’avertir le personnel avant que surviennent des incidents violents entre résidents ou contre des membres du personnel, comme ceux dont on entend parler dans les médias.

Enfin, pour le volet réadaptation, nous travaillons à de nouvelles technologies qui visent à aider les personnes atteintes d’une incapacité physique à la suite d’un AVC, d’un traumatisme crânien ou d’un autre problème médical. Par exemple, nous utilisons des robots pour la réadaptation des bras, des poignets et des mains, et plus récemment un gant tout simple qui facilite la réadaptation, mais qui permet aussi aux gens d’exécuter des gestes simples de la vie quotidienne comme prendre une tasse ou un verre d’eau.

Alex Maheux

C’est très intéressant. Et je pense avoir déjà lu certains de vos travaux; j’ai notamment lu que vous aviez aussi développé un carreau de salle de bain qui mesure la tension artérielle et envoie les résultats directement au médecin du patient. L’une des caractéristiques très intéressantes de votre travail est que vous utilisez des données pour guider ces décisions, mais aussi que les technologies que vous développez vous fournissent des données en retour. Pouvez-vous un peu me parler du rôle des données dans vos travaux?

Alex Mihailidis

Oui. Les données sont essentielles à tout ce que nous faisons, surtout quand nous travaillons en intelligence artificielle ou en apprentissage automatique. L’efficacité des algorithmes et des systèmes que nous créons dépend de la qualité des données qui les alimentent, n’est-ce pas? Alors, nous essayons de recueillir des données à l’aide de divers capteurs qui se trouvent dans le milieu de vie ou sur la personne, et nous utilisons ces données pour alimenter nos modèles afin d’augmenter le degré de personnalisation.

Les données sont vraiment importantes en ce moment, compte tenu du rôle de plus en plus grand de l’intelligence artificielle en santé. L’objectif est de créer des solutions de santé personnalisées, et les données sont essentielles à leur réalisation. Les données occupent donc une très grande place dans nos recherches. En plus de les recueillir, nous devons comprendre comment les recueillir, les utiliser et les stocker de manière à en garantir la sécurité et la confidentialité. Nous devons aussi comprendre comment les partager avec nos collègues du monde entier afin de concevoir ensemble les meilleures solutions possible.

Alex Maheux

Oui, et nous semblons nous diriger vers une plus grande collaboration, à l’échelle mondiale, mais aussi entre les différentes structures verticales qui peuvent exister au sein du système de santé?

Alex Mihailidis

Oui, précisément.

Alex Maheux

Les importants travaux que vous réalisez à l’Institut KITE ont été interrompus il y a quelques années en raison d’un grave accident. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé en août 2019?

Alex Mihailidis

Oui, absolument. Nous passions la fin de semaine au chalet, comme souvent, et mon fils est parti en randonnée avec un ami sur les falaises situées à proximité. Malheureusement, mon fils, qui n’avait que neuf ans, s’est trouvé coincé sur une saillie qui commençait à céder. Naturellement, il a paniqué et a appelé à l’aide. J’ai grimpé et, Dieu merci, j’ai réussi à le mettre en lieu sûr, mais la saillie sur laquelle je me trouvais s’est écroulée et j’ai fait une chute d’environ 9 mètres. J’ai subi des blessures très graves, entre autres des fractures aux vertèbres, au bassin, à la cheville et au sternum. Résultat : une lésion traumatique incomplète de la moelle épinière au niveau de la vertèbre L3.

Alex Maheux

Oh!

Alex Mihailidis

Évidemment, cet accident a changé les choses, la plus importante étant que j’ai été hospitalisé à l’établissement de réadaptation pour lequel je travaille. J’ai donc passé 3 mois à l’Hôpital Lyndhurst, qui fait partie de l’Institut de réadaptation de Toronto, où j’ai essentiellement dû réapprendre à marcher. Je suis passé de chercheur à patient, et j’ai fait face à bien des problèmes que les participants à mes travaux de recherche ont connus. Comme vous vous en doutez, cette expérience m’a vraiment ouvert les yeux.

Alex Maheux

C’est à la fois incroyable et terrifiant. À quoi pensiez-vous lorsqu’on vous transportait à l’hôpital par voie aérienne?

Alex Mihailidis

Je vous avoue que je n’ai pas pensé à grand-chose durant le transport. Les médicaments qu’on donne contre la douleur vous assomment.

Alex Maheux

J’imagine, alors à quoi avez-vous pensé quand vous avez repris vos esprits?

Alex Mihailidis

Étonnamment, quand j’ai repris mes esprits, j’ai tout de suite pensé à mon travail. Non pas dans le sens de : « Oh! il faut que les recherches se poursuivent » — car je savais que mes étudiants et d’autres chercheurs pouvaient prendre la relève. Non, j’ai plutôt commencé à voir mon travail différemment. Et quand je me suis retrouvé à l’hôpital de réadaptation comme patient, j’ai réalisé à quel point nous, les chercheurs, avions mal transféré les résultats de nos travaux vers les applications cliniques. J’ai été étonné de constater qu’aucun clinicien avec qui j’avais collaboré ne savait en quoi nos recherches consistaient. Ils ignoraient même qu’il y avait un laboratoire de recherche au sous-sol de l’hôpital.

Alex Maheux

En effet.

Alex Mihailidis

Donc, mon attitude a complètement changé, et je me suis dit que nous devions vraiment faire mieux. Vous savez, nous avons toujours essayé d’adopter une approche axée sur les utilisateurs et d’inclure les gens qui se serviraient de la technologie. Mais là encore, je me suis rendu compte que nous nous y prenions de la mauvaise façon. Nous ne visions pas les bons objectifs en réadaptation. Alors, nous avons décidé de revoir ce modèle, et c’est ce que j’essaie de faire ces jours-ci, pendant que mes étudiants et le reste de l’équipe poursuivent leurs travaux.

Alex Maheux

D’accord. J’aimerais revenir sur votre expérience à l’hôpital et sur votre passage d’expert à patient. Qu’avez-vous appris? Avez-vous remarqué dans le système des lacunes qui vous avaient échappé comme chercheur?

Alex Mihailidis

Oui. À propos des données justement, j’ai découvert des manques importants en matière de partage des données. Après l’accident, j’ai d’abord été transporté à l’Hôpital général de Kingston par voie aérienne, puis à l’Hôpital Sunnybrook et enfin à l’Institut de réadaptation de Toronto. Pendant mon séjour à l’Institut, j’ai dû retourner à Sunnybrook pour des problèmes urgents, mais mes données médicales ne m’ont jamais suivi. On me posait sans cesse les mêmes questions et je passais toujours les mêmes tests.

Alex Maheux

Mm-hmm.

Alex Mihailidis

En fait, les conséquences médicales auraient pu être très graves dans mon cas, car les chirurgiens de l’Hôpital Sunnybrook n’ont pas reçu le dossier envoyé par les chirurgiens de Kingston. Et c’est seulement après une remarque de ma femme ou de moi — très probablement de ma femme à ce stade — qu’ils ont découvert un problème. Sans cela, mon rétablissement aurait pu très, très mal tourner. Cela m’a sidéré de voir que des données étaient bel et bien recueillies, mais qu’elles ne m’accompagnaient pas d’un établissement à l’autre. Alors, j’ai vu là une énorme lacune, et j’en discutais souvent avec le personnel infirmier et tous les membres de l’équipe médicale. Je pouvais aussi constater leur frustration de savoir que les données existaient, mais qu’ils n’y avaient pas accès.

Alex Maheux

À l’ICIS, nous nous efforçons d’intégrer le point de vue des patients dans nos travaux, car à terme, nous pourrons produire des données et des analyses de meilleure qualité et plus significatives. Et comme vous l’avez souligné, mieux rendre compte de la situation à l’échelle des patients. De quelle façon votre expérience a-t-elle transformé la façon dont vous abordez votre travail?

Alex Mihailidis

En ce qui concerne les données, nous essayons de comprendre quels types de renseignements nous devrions recueillir, qui a besoin d’y avoir accès en temps réel et à quoi les données devraient ressembler selon la personne qui les consulte.

Mon expérience m’a appris, entre autres, que les données que je souhaitais voir comme patient n’avaient pas le même intérêt pour l’équipe médicale.

Alex Maheux

Mm-hmm.

Alex Mihailidis

Et l’information que ma famille ou ma femme voulait voir ne m’intéressait pas nécessairement. Je crois que la personnalisation des données est un élément très important. La façon de tenir informées toutes les personnes qui doivent l’être est aussi un élément essentiel à prendre en compte à partir de maintenant. C’est l’une des choses auxquelles nous réfléchissons en ce moment.

Toutes les données que nous recueillons avec nos systèmes résidentiels intelligents, nos capteurs, nos robots, etc., comment pouvons-nous les rendre accessibles aux familles? De quelle façon les familles veulent-elles consulter ces données? Comment rendre ces données accessibles au médecin de famille d’une personne âgée, par exemple? Et de quelle façon le patient veut-il consulter ses propres données?

Alex Maheux

Mm-hmm.

Alex Mihailidis

Par-dessus tout ça, il y a aussi la question essentielle du maintien de la confidentialité et de la sécurité des données.

Alex Maheux

Un an et demi après votre accident, comment allez-vous?

Alex Mihailidis

Ça va. Je fais encore de la physio chaque semaine, j’ai encore beaucoup de rendez-vous médicaux et j’essaie vraiment de reprendre des forces. Et surtout, j’apprends à vivre avec les conséquences de la lésion traumatique de la moelle épinière, que j’ai encore et qui ne guérira jamais. J’essaie de trouver des façons de composer avec ça. Oui, la technologie joue un rôle dans ce que je fais ici, mais ma situation aurait pu être bien pire, de toute évidence. Je suis reconnaissant de cela et d’être toujours ici. Et le fait de pouvoir vous raconter mon parcours, ainsi qu’à d’autres, facilite mon rétablissement et aide d’autres personnes également.

Alex Maheux

Mm-hmm. Nous vous remercions de nous en parler. Donc peu de temps après votre rétablissement ou votre accident, la pandémie a frappé.

Alex Mihailidis

Oui.

Alex Maheux

Quelle a été l’incidence de la COVID-19 sur vous et votre travail?

Alex Mihailidis

En toute honnêteté, la pandémie n’a pas changé grand-chose à mon mode de vie ni à mon mode de travail, car je travaillais déjà de cette façon pendant les 4 ou 5 mois de mon rétablissement. Même à ma sortie de l’hôpital, j’ai dû travailler à distance et m’organiser pour le faire efficacement. Alors en un sens, j’étais prêt pour le confinement et toutes les autres mesures que la pandémie a entraînées.

Même sur le plan de la santé mentale, j’ai appris beaucoup de stratégies à l’hôpital pour mieux composer psychologiquement avec ma situation, et j’ai continué à les appliquer durant la pandémie afin de m’adapter à l’isolement, au manque d’activités, etc. Bref, je pense que d’une certaine façon, cela m’a aidé à me préparer à la situation actuelle.

Quant à mes travaux, ils se poursuivent. Nous cherchons maintenant des façons d’appliquer certaines de nos technologies à d’autres situations et environnements. Par exemple, en soins de longue durée. La pandémie a mis en lumière l’état pitoyable des soins de longue durée et des soins aux personnes âgées au Canada. La technologie peut nous aider à améliorer ces soins. Or, pendant que nous tentons de mettre la technologie au service du « vieillissement chez soi », nous découvrons que le « chez-soi » peut être le domicile de la personne, mais aussi un établissement de soins de longue durée. Alors, comment utiliser la technologie pour résoudre non seulement les problèmes révélés par la pandémie en soins de longue durée, mais aussi améliorer les choses après la pandémie?

Alex Maheux

Mm-hmm. J’allais justement vous poser la question. Avez-vous conclu des partenariats ou noué des collaborations pour que les technologies que vous développez soient utilisées dans différents milieux, par exemple dans des foyers de soins de longue durée, comme vous l’avez mentionné?

Alex Mihailidis

Mm-hmm. Oui, absolument. Nous avons eu des entretiens avec plusieurs établissements et fournisseurs de soins. Par exemple, nous avons discuté avec la Ville de Toronto du rôle que la technologie pourrait jouer dans ses établissements. Actuellement, nous tentons de déterminer quelles technologies parmi celles que nous avons développées — pas seulement dans mon laboratoire, mais aussi au sein du réseau de recherche AGE-WELL que je dirige — peuvent être mises en œuvre dès maintenant.

Alex Maheux

J’aimerais revenir un instant sur la santé mentale. De quelle façon certains défis liés à la santé mentale dont nous avons discuté, en particulier dans le contexte de la pandémie, ont-ils été utiles à vos travaux de recherche?

Alex Mihailidis

Nous avons analysé la question de la santé mentale et certaines des principales causes des problèmes de santé mentale chez les résidents des établissements de soins de longue durée et les personnes âgées. De nombreux problèmes se rapportent à l’isolement. Par conséquent, nous examinons maintenant les façons dont la technologie peut contribuer à réduire l’isolement social. Comment un simple iPad ou un autre appareil semblable peut-il aider une personne âgée à rester en contact avec ses proches, son réseau social, etc.?

Une partie du travail que nous réalisons dans ce domaine — encore une fois à mon laboratoire et au sein du réseau de recherche AGE-WELL — est axé sur le développement technologique, mais une bonne partie porte aussi sur les services, la prestation et l’éducation. En plus de fournir les outils technologiques, nous voulons également apprendre aux personnes à les utiliser de façon optimale pour leur santé physique et mentale.

Alex Maheux

Oui, et je suis certaine que cela pose aussi quelques difficultés. En dehors de la COVID-19, quels sont les plus importants défis en matière de services à domicile en ce moment? Et, à l’opposé, quelles sont les plus grandes possibilités?

Alex Mihailidis

Selon moi, les ressources constituent l’un des plus gros défis. Il n’y a tout simplement pas assez de personnel pour répondre à tous les besoins. Je ne parle pas seulement du personnel rémunéré, mais aussi des aidants naturels. Vous savez, il n’est pas rare aujourd’hui de voir des familles dispersées : les enfants vivent à Vancouver et essaient de fournir des soins aux parents qui habitent à Toronto. Comment les aider à fournir des soins de manière efficace? Ici encore, la technologie offre des possibilités.

Même dans les situations où un membre de la famille joue le rôle d’aidant naturel, pour son conjoint, sa conjointe, ses parents ou autre, la technologie peut se révéler extrêmement utile, par exemple en permettant à l’aidant de retourner au travail. Donc, parmi les possibilités que nous voyons, il y a des entreprises qui nous demandent : « Dans le cadre de nos avantages sociaux, pourrions-nous offrir un système de domotique à nos employés qui sont aidants naturels et qu’ils pourraient faire installer chez leur proche afin de pouvoir revenir au travail tout en continuant à exercer une certaine surveillance et à s’assurer que la personne dont ils prennent soin est en sécurité chez elle? » Alors, je vois de nombreuses possibilités en raison de la pandémie, mais aussi beaucoup d’occasions d’améliorer les services à domicile au Canada.

Pour terminer, j’ajouterais que dans le Nord, les collectivités autochtones ont aussi de gros problèmes liés aux soins de leurs aînés et de leur population vieillissante. La technologie et la télésanté représentent pour elles une possibilité que nous devons vraiment analyser sérieusement.

Alex Maheux

Oui, absolument. Comment pouvons-nous relever collectivement les importants défis que vous venez de mentionner — ceux liés aux collectivités autochtones et les autres — à l’échelle des systèmes de santé du Canada et placer les patients au centre des changements?

Alex Mihailidis

D’abord et avant tout, il faut adopter une stratégie collective nationale. Le réseau AGE-WELL a déjà fait pas mal de travail en ce sens, en invitant le milieu universitaire à collaborer étroitement avec l’industrie, le gouvernement et les principaux intervenants bien sûr — personnes âgées, aidants naturels, dispensateurs de services à domicile, etc. — afin de comprendre réellement les possibilités offertes par la technologie et de s’entendre sur la voie à emprunter.

Honnêtement, c’est l’aspect le plus difficile de ma recherche. Je répète toujours à mes étudiants ce qu’aucun ingénieur n’aime entendre : le développement technologique est l’étape la plus simple de notre travail. Il est toujours possible de perfectionner un capteur, un algorithme ou un robot. Par contre, si nous n’arrivons pas à nous comprendre et à nous entendre sur l’effet des politiques et exigences réglementaires connexes sur les modèles de prestation des services, aucun de ces dispositifs ne sortira des laboratoires.

Alex Maheux

Mm-hmm.

Alex Mihailidis

Croyez-moi, je pourrais vous montrer plusieurs produits technologiques qui prennent la poussière dans mon laboratoire parce que nous n’avons pas pris ces éléments en considération. Voilà une autre leçon importante que j’ai retenue à titre de patient ou d’utilisateur du système de santé. Il y a beaucoup de travail à faire, mais aussi d’excellentes possibilités, et je crois que le bon moment est enfin arrivé. Les gens commencent à prendre conscience des vrais problèmes qui grèvent nos systèmes de santé, ceux qu’il faut résoudre pour mieux soutenir notre population vieillissante. Tout le monde en profitera. Encore une fois, j’espère que la technologie, que mon équipe du réseau AGE-WELL et que d’autres équipes partout au pays feront partie de la solution. J’espère aussi que le Canada sera un exemple d’innovation technologique en santé pour le reste du monde.

Alex Maheux

Merci, Alex. Nous avons hâte de découvrir ce que l’avenir vous réserve, à votre équipe et vous. Merci encore d’avoir participé au balado et d’avoir accepté de nous parler de vos recherches extraordinaires. Notre discussion a été très inspirante.

Alex Mihailidis

Excellent. Merci beaucoup, Alex.

Alex Maheux

Merci d’avoir été à l’écoute. Nous espérons que cet épisode vous a plu. Revenez la prochaine fois, car nous continuerons à vous présenter des points de vue intéressants et à décortiquer des sujets liés à la santé qui vous intéressent.

Pour en savoir plus sur l’ICIS, consultez notre site Web : icis.ca. Si vous avez apprécié notre discussion d’aujourd’hui, abonnez-vous à notre balado, laissez-nous un commentaire et suivez-nous sur les réseaux sociaux.

Cet épisode a été produit par Jonathan Kuehlein, avec l’aide d’Amie Chant, Marisa Duncan, Shraddha Sankhe et Ramon Syyap à la recherche. Ici Alex Maheux, merci de suivre le Balado d’information sur la santé au Canada. À la prochaine!

<Fin de l’enregistrement>

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