Le personnel de la santé au Canada en difficulté — Dre Judy Morris

29 min | Publié le octobre 21 2022

Le Canada est aux prises avec une pénurie sans précédent de professionnels de la santé. La COVID-19 est en partie responsable : bon nombre de médecins et d’infirmières croulent tout simplement sous la pression subie à cause de la pandémie. Mais plusieurs autres facteurs clés entrent aussi en jeu, dont le milieu de travail extrêmement stressant et de nombreux départs à la retraite. Dans cet épisode du BISC, notre animatrice, Alya Niang, discute des causes de cette problématique ainsi que des solutions à envisager avec la Dre Judy Morris, urgentologue à l’Hôpital du Sacré-Cœur-de- Montréal et membre du conseil d’administration de l’Association canadienne des médecins d’urgence (ACMU) depuis 2018.

Cet épisode est disponible en français seulement.

Transcript

Alya Niang

Rappelez-vous que les opinions et les commentaires de nos invités ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Institut canadien d’information sur la santé.

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Ici, Alya Niang et je suis ravie de vous retrouver pour le troisième épisode de l’Institut canadien d’information sur la santé, connu sous le nom de l’ICIS. Dans l’émission d’aujourd’hui, nous traitons l’un des problèmes des plus urgents dans le domaine des soins de santé au Canada, c’est-à-dire la crise des ressources humaines en santé ou, en termes plus simples, la crise des personnes dans le secteur de la santé. Nous y aborderons des problèmes ainsi que les solutions pour les résoudre de manière innovante, aujourd’hui.

Il y a une pénurie critique de médecins, d’infirmières et de nombreux autres professionnels de la santé dans tout le pays. Les équipes de première ligne sont épuisées, après presque trois ans de lutte contre la COVID-19 et les effets des retards de soins pour tous les autres. Nos travailleurs de la santé quittent le travail hospitalier ou s’orientent vers d’autres domaines de pratique. Ils n’en peuvent tout simplement plus des longues heures de travail, des heures supplémentaires forcées. Ils sont épuisés et démoralisés et certains même s’expriment. Selon un rapport, les postes vacants dans le secteur de la santé au Canada atteignent un niveau record de plus de 100 000 postes et les effets de ces derniers mois ont été désastreux. Des dizaines d’unités d’urgence et de services hospitaliers à travers le pays ont dû fermer temporairement en raison du manque de personnel et, pour ceux qui sont ouverts, il y a eu des temps d’attente énormes. D’ailleurs, beaucoup de gens pensent que notre système de santé actuel n’est pas viable à l’avenir.

Pour explorer ce sujet urgent, nous avons le plaisir d’être en compagnie du Dre Judy Morris, urgentologue à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal et professeur agrégé au département de médecine familiale et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal. Dre Morris est la présidente du conseil d’administration de l’Association des médecins d’urgence du Québec depuis 2020 et il est membre depuis 2014. Bienvenue, Dre Morris. C’est un plaisir de vous avoir avec nous, aujourd’hui.

Dre Judy Morris

Ça me fait plaisir. Merci de m’inviter.

Alya Niang

Tout le plaisir est pour nous. Dre Morris, nous traversons une grave crise au niveau des ressources humaines tant au niveau infirmer qu’au niveau des médecins de famille et urgentistes ou encore… Pourrait-on dire que nous avons actuellement un système de santé qui est au bord de l’effondrement? Pensez-vous que ceci est un nouveau problème?

Dre Judy Morris

En fait, c’est un problème qu’on anticipait déjà. On a travaillé, à l’Association canadienne des médecins d’urgence, à un rapport qui prédisait déjà qu’il allait y avoir une pénurie de médecins d’urgence – en fait, il y en avait déjà une en 2016, au moment du rapport, plusieurs centaines de médecins – puis que ç’allait seulement s’empirer. La crise de la COVID, la pandémie des deux dernières années n’a fait qu’empirer la situation et a exacerbé la pénurie de main-d’œuvre avec des gens qui ont quitté et en rendant les problèmes encore plus difficiles sur le terrain.

Alya Niang

Est-ce que vous savez combien de médecins urgentistes ont quitté?

Dre Judy Morris

En fait, je n’ai pas la donnée pour les médecins qui manquent, mais juste pour vous donner une idée, en 2016, on estimait déjà qu’au niveau canadien on avait près de 500 médecins d’urgence qui manquaient dans le réseau – des manques partout : dans les milieux ruraux, dans les milieux urbains – puis on prédisait un manque, 5 ans plus tard, l’année dernière, de plus de 1 000 médecins et, 10 ans plus tard, de 1 500 médecins. On sait, je n’ai pas les chiffres en détail, qu’il y a des gens qui ont quitté à cause des conditions difficiles dans les dernières deux années, en plus de ça.

Alya Niang

Pouvez-vous aller un peu plus en profondeur par rapport aux conditions difficiles, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles ils quittent?

Dre Judy Morris

On va peut-être en parler plus tard, le phénomène est vraiment même pire du côté infirmiers, préposés et autres professionnels dans les soins de santé, mais les gens à qui on parle, qui nous disent qu’ils quittent, en fait, c’est le système qui est devenu vraiment lourd. L’espèce de plaisir à travailler ou à effectuer un peu la mission, han, de venir soigner des patients, quand ça devient rempli d’embûches, occasionne trop de stress, ne donne pas les ressources adéquates pour pouvoir faire le travail, on parle de – le terme anglais, c’est moral injury – la détresse morale de dire « moi, là, je viens travailler, je veux soigner des patients, mais je n’ai pas assez de personnel, je n’ai pas assez de ressources, je n’ai pas le support technologique pour faire ce travail-là ». À l’urgence, c’est encore pire. Les patients ont peut-être moins d’accès en première ligne, moins d’accès à des chirurgies, puis on se retrouve dans cette espèce d’environnement où on manque de tout. C’est un poids sur les épaules des gens, puis il y en a qui quittent par la force des choses, un peu pour se protéger eux-mêmes.

Alya Niang

Est-ce que vous pouvez nous parler un peu plus du problème des infirmières et infirmiers?

Dre Judy Morris

Ah, oui. La pénurie de personnel infirmier, c’est le défi principal, je crois, du réseau de la santé, actuellement. Puis ça, on le voit à travers le pays, puis dans toutes les régions. En fait, les régions rurales sont particulièrement touchées aussi par les pénuries de personnel infirmier. Puis ça, ça rend le défi encore plus grand pour les prochaines années, parce que c’est du personnel qui est essentiel aux soins qu’on donne. C’est du personnel polyvalent, où, dans certaines régions rurales, ils vont faire parfois… ils vont s’occuper de communautés en entier alors qu’il y a moins d’accès à des médecins. Donc, de s’assurer qu’on ait des nombres adéquats, qu’on forme des gens pour venir ajouter, disons, à notre système de santé en termes de soins infirmiers, c’est le défi. On manque de personnel partout à travers le réseau. Oui, on manque de médecins, on manque de gens préposés au personnel administratif ou autres professionnels de soins, mais le défi auquel on fait face avec le personnel infirmier, il est grand. Puis aussi, bien, ce personnel-là, c’est un peu un vase communiquant, le danger, s’ils sont fatigués, s’ils sont en force réduite, si la charge de travail est plus grande pour eux, le danger, c’est qu’ils s’en aillent vers le privé. Toutes sortes de formes de ressources de soins privés, puis que notre personnel qualifié qu’on a dans nos hôpitaux actuellement, on les perde, en plus d’avoir le défi actuel de ne pas en avoir assez.

Alya Niang

C’est clairement un fait que nous vivons actuellement.

Dre Judy Morris

Oui. Puis une inquiétude qui devra… quelque chose qui devrait être mis en premier plan par les gouvernements.

Alya Niang

Dre Morris, parlons un peu des effets sur les soins aux patients. Est-ce qu’il y a un impact sur la manière dont les patients sont traités?

Dre Judy Morris

Oui. Quand on manque de ressources, on le sait, nos données nous le disent, souvent les soins aux patients sont mis en danger. L’Association des infirmiers et infirmières d’urgence du Québec l’a souligné aussi en disant : si on manque de personnel dans nos milieux de soins, puis particulièrement dans les urgences, bien, on va avoir des ratios soignant-patient qui vont être différents. On va ajouter une charge de travail, on va ajouter une fatigue, un risque d’erreur. Puis aussi, on le sait, nos études nous le disent, quand on est en surcapacité, on déborde dans nos urgences, dans nos hôpitaux, bien, on donne des moins bons soins. Il y a plus de risques, de délais, d’hospitalisations prolongées, d’effets adverses et même de décès, par manque de ressources adéquates en place.

Alya Niang

On est toujours dans le rush, en fait.

Dre Judy Morris

Toujours dans le rush, puis pas assez de ressources. Puis des ressources imparfaites, disons, pour répondre à la demande. Puis l’autre aspect de ça aussi, de la réalité entre autres des urgences, c’est qu’on pallie souvent… les urgences pallient au manque de ressources ailleurs. Puis ça, on l’a vu dans la pandémie. Ça fait que s’il n’y avait pas de soins à domicile, s’il n’y avait pas assez de places dans les soins de longue durée, d’autres milieux de vie alternatifs, s’il n’y avait pas assez d’accès à la première ligne, les patients n’ont pas d’autres endroits où aller que de venir à l’urgence, qui est ouverte tout le temps. Donc, ça met un autre poids ajouté, que les gens ne voient pas nécessairement, quand on parle des chiffres dans les médias, sur ce que les urgences doivent faire face.

Alya Niang

Et où dans le système ces pénuries des équipes de première ligne sont-elles le plus ressenties?

Dre Judy Morris

Ah. Honnêtement, je vous dirais que c’est partout. Ç’a été mis… on le vit aux urgences, parce que c’est ce qu’on voit. On dit souvent que les urgences, c’est la pointe de l’iceberg. C’est partout qu’on voit les pénuries, mais ça fait mal en première ligne. Ça fait mal dans les soins spécialisés. Ça fait mal dans les soins de longue durée aussi. Mais certainement que le réseau hospitalier a souffert beaucoup, n’étant pas capable de suffire à la demande.

Ça aussi, on le savait. Quand venaient chaque année les périodes d’influenza, la grippe saisonnière, en janvier, on le savait que, oups!, on débordait. Ah, on débordait à l’urgence, on débordait dans l’hôpital, on était obligé d’ouvrir des centres de soins de longue durée temporaires. Ça fait qu’on le savait qu’on était tous souvent à la limite de ce qu’on pouvait être capable de faire comme soins. Là, bien, la période de la COVID, ça nous a mis dans une espèce de période où on ne suffit pas à la demande de façon chronique. Mais les gens le disaient déjà il y quelques années en disant : on ne va pas… si à un moment donné il arrive une catastrophe ou des situations comme l’influenza de façon répétée, ce qu’on a vécu avec la COVID, on ne sera pas capable de suffire à la demande. Puis c’est ce qui a, disons, été mis au grand jour dans les deux dernières années.

Alya Niang

Parlons un peu de l’immigration. On entend constamment dans les médias que la hausse des seuils d’immigration permettra de combler la pénurie de main-d’œuvre. Cependant, les données de l’ICIS montrent que le pourcentage d’infirmières autorisées formées à l’étranger, au Canada, n’a pas vraiment changé au cours des cinq dernières années, c’est-à-dire une moyenne d’environ 9 %, et le pourcentage de médecins est d’environ 26 %. Pensez-vous que nous avons besoin de plus d’infirmières et de médecins étrangers?

Dre Judy Morris

Je pense qu’on en a besoin de plus, tout court. Puis ça passera certainement par la formation augmentée. Mais oui, si on peut avoir des gens qui sont qualifiés, qui remplissent les exigences ou qui peuvent avoir une mise à niveau alors qu’ils arrivent ici, certainement. On n’est pas les seuls à se poser ces questions-là. D’autres pays, la Grande-Bretagne, la France le font aussi. Nous, ce qu’on trouve difficile, c’est qu’au-delà de ça, ce qu’on a déjà vu sur le terrain, c’est des gens qui nous disaient : je suis capable de travailler, j’ai mes équivalences. Mais souvent, pour des problèmes techniques, d’immigration, de visa et tout ça, ils ne pouvaient pas rester. Donc, est-ce qu’on pourrait peut-être faciliter l’accès à ces gens-là, accélérer l’accès à ces gens-là qui sont qualifiés, qui pourraient venir nous aider demain matin dans notre réseau? Puis que, pour des raisons souvent techniques, c’est sûr qu’il y a une logistique avec laquelle je ne suis pas familière, une lourdeur, disons, administrative, est-ce que ça ne pourrait pas être accélérée ou faciliter l’accès à ces gens-là pour venir nous aider dans un réseau qui en a bien besoin?

Alya Niang

Donc, alléger un peu en termes d’administration pour vraiment pouvoir combler ces postes et que ces gens puissent commencer à exercer beaucoup plus rapidement?

Dre Judy Morris

Oui, probablement, si on dit que le système de santé est en crise, bien, il faudra que ça passe peut-être par prioriser les travailleurs de la santé pour venir aider dans le réseau. C’est sûr que ça ne sera pas la seule réponse, mais il faut que ce soit une parmi tant d’autres réponses qui seront mises de l’avant pour nous aider au niveau du personnel de soins.

Alya Niang

Dre Morris, venons-en un peu à vous d’un point de vue personnel, votre ressenti. Comment avez-vous géré tout ce chaos, c’est-à-dire le stress, votre équilibre familial, le fait de voir vos amis démissionner, de travailler des heures supplémentaires forcées? Est-ce que cette pénurie de ressources vous a entraîné une détresse morale, c’est-à-dire de voir des personnes ne pas être soignées à temps?

Dre Judy Morris

Ah, oui. Les deux dernières années ont été très difficiles pour beaucoup de gens, pour moi comme d’autres. Premièrement, il y a l’anticipation, la COVID, les défis, les incertitudes. Les gens étaient un peu… puis les gens se sont préparés. Les gens disaient : on va faire face à ce défi-là. Mais c’est l’après. Après quelques vagues de COVID, où là on se dit : les gens sont fatigués, on a des défis sur le plancher en termes de ressources qu’on n’a jamais vus. Puis oui, on voit l’impact sur les collègues. C’est extrêmement difficile de voir les gens. Il y a un sondage, récemment, l’Association médicale canadienne, qui a confirmé que les pourcentages de burnout, d’épuisement au travail avaient augmenté parmi tous les médecins. Mais les médecins d’urgence sont frappés également. Les médecins de première ligne sont souvent frappés par ce fléau-là, en fait. Donc, c’est extrêmement difficile de voir l’impact tous les jours, de voir le moral des gens diminuer. Après ça, on nous demande de dire… il faut travailler à rebâtir notre réseau, à remettre des processus en place, à faire plus avec moins. Ça devient lourd. C’est difficile de trouver, pour les gens sur le terrain, la motivation. Ça fait que d’un point de vue personnel, c’est extrêmement lourd pour tout le monde.

Alya Niang

Et comment vous avez géré votre équilibre familial avec tous ces problèmes, en fait?

Dre Judy Morris

En fait, souvent ça passe par se protéger. Au début, entre autres, avec la COVID, c’était de se protéger, de s’assurer… la crainte de ramener l’infection à la maison, la crainte de nuire à nos proches. C’était un stress incroyable pour tout le monde. C’est sûr qu’avec le temps, on s’habitue un peu, on apprend à connaître un peu la COVID. Là, ce qui est difficile, c’est de rester connecté puis de travailler ensemble avec l’équipe. Je vous dirais que ça, c’est un défi. Avec la famille, c’est sûr qu’il y a souvent des défis, de dire… de ne pas ramener les inquiétudes qu’on a, à la maison. Mais un des gros défis que toutes les équipes vont avoir sur le terrain, c’est comment est-ce qu’on travaille ensemble, comment est-ce qu’on retrouve le plaisir au travail. Parce que, par exemple, dans mon milieu de travail, la médecine d’urgence, c’est une médecine qui est un travail d’équipe, c’est une médecine qui est stimulante, qui apporte plein de défis. Mais là, ce qu’on sent, c’est une espèce de fatigue. Les gens n’ont peut-être plus la motivation ou l’intérêt en disant : j’aime encore faire mon travail, mais tout ce qui vient avec est tellement lourd. L’environnement de travail, les gens qui quittent, les épuisements professionnels qu’on voit parmi les collègues dans tout le réseau. Puis c’est un cercle vicieux, parce que ça augmente la charge de ceux qui restent derrière. C’est un poids énorme. Et ça va vraiment… il va falloir, ça aussi, qu’on mette l’emphase sur le bien-être des soignants, parce que la qualité des soins va passer inévitablement par ça. Le travail d’équipe puis la qualité des soins… La qualité, en fait, de comment on fonctionne ensemble en équipe, puis on va être capable d’avancer ensemble.

Alya Niang

Aujourd’hui, nous voyons qu’un bon nombre de travailleurs de la santé quittent la profession à cause de leur épuisement et le système a atteint un point où nous devons agir immédiatement pour prévenir son effondrement. Quelles sont les stratégies mises en œuvre pour atténuer l’impact sur le système et les soins aux patients?

Dre Judy Morris

Ça revient un peu à protéger les travailleurs. Il y a eu quand même des papiers, des publications qui ont été faites sur ce sujet-là, entre autres, durant la COVID. Le sentiment de sécurité, bien qu’il y avait plein d’inconnu quand on faisait face à la COVID-19, une des meilleures mesures pour protéger les travailleurs ou pour qu’ils se sentent en sécurité, c’était qu’ils sentaient que leur employeur, leurs collègues ou leur administration les protégeaient ou mettaient un peu leur bien-être en premier. Pour le futur, pour s’assurer que les gens veuillent venir travailler dans notre réseau public, hospitalier et première ligne et autres, il va falloir mettre les travailleurs au centre. Il va falloir les impliquer dans les décisions. Il va falloir les protéger dans certains centres hospitaliers où ils forcent les gens à rester en temps supplémentaire. Ce n’est pas compatible avec une vie de famille, avec d’autres obligations. Donc, il faut protéger les travailleurs le plus possible, leur dire qu’il va falloir que leur environnement soit sécuritaire pour eux, ne mène pas au surménage. Puis il va falloir que les mesures prises peut-être impliquent les gens sur le terrain dans les décisions au lieu dire, bien, on a décidé qu’on va vous faire tel horaire. Bien, peut-être qu’au niveau du personnel infirmier, c’est souvent une des demandes : laissez-nous gérer notre horaire, laissez-nous nous organiser ensemble, puis on va en trouver des solutions. Il faut que ce soit au centre, en plus de recrutement, de soutenir les gens de façon adéquate pour le travail qui est fait.

Alya Niang

En connaissez-vous, des stratégies, qui ont été mises en œuvre pour atténuer l’impact sur le système en ce moment?

Dre Judy Morris

En fait, ce qui est intéressant, c’est que durant certaines vagues, périodes critiques des deux dernières années dans le réseau, il y a eu des solutions souvent très innovantes. On a amené des étudiants en stage ou travailler plus tôt pour venir aider les gens en place. Évidemment, de former, par exemple, au Québec des préposés aux bénéficiaires en masse pour qu’ils puissent venir aider dans nos différents établissements, ça aussi. Donc, il y a toutes sortes d’outils. D’aller chercher de la fonction publique pour venir donner un coup de main une fois de temps en temps dans le réseau. De décloisonner certaines professions. De dire, bien, peut-être que certains professionnels vont pouvoir venir aider les infirmiers, infirmières ou les médecins pour essayer de travailler plus en équipe. Donc, il y a eu des solutions innovantes. Puis là, on a l’impression que parce que ce n’est plus une vague COVID, on craint que les choses s’arrêtent puis que des solutions innovantes ou peut-être de faciliter l’accès à du personnel qui vient de l’étranger plus rapidement, on craint que ces choses-là soient un petit peu mises sur pause pour retourner un peu à business as usual. Comme un petit peu plus tout ce qui est travail administratif un petit peu plus lent, alors que durant la COVID on peut sortir un paquet d’exemples où les gens se sont mis ensemble puis ils ont trouvé des solutions à des problèmes qui étaient criants. On parle de fermetures d’urgences imminentes ou autres, où les gens disaient : laisse-nous, on va trouver des solutions. Puis l’administration disait : OK, on vous supporte, allez de l’avant avec vos solutions.

Alya Niang

Et qu’est-ce que cela signifie pour le Canadien moyen?

Dre Judy Morris

Ça va être essentiel pour les citoyens canadiens de trouver des solutions. Dans les prochaines années, ça va être super difficile. On manque de main-d’œuvre à tous les niveaux du réseau de la santé. Il va falloir être plus innovant. Il va falloir essayer des choses. Il va falloir mettre, comme on le disait plus tôt, l’emphase sur le personnel de soins, parce que sinon, comme on l’a vu, si le système est dépassé, si le système ne peut pas répondre à la demande des patients, c’est la qualité des soins qui va en souffrir, malheureusement.

Alya Niang

Les données de l’ICIS montrent que les patients admis à travers le Canada ont attendu plus de 38 heures dans les salles d’urgence au début de la pandémie et on rapporte que certains patients attendent des jours avant d’être admis pour recevoir des soins. Est-ce que nous allons vers des temps d’attente plus longs?

Dre Judy Morris

On avait déjà des temps d’attente qui augmentaient, mais les chiffres des derniers mois… la tendance continue, les gens attendent pour être vus. Puis ç’a l’effet pervers de faire qu’il y a certains patients qui s’en vont mais qui devraient rester, qui devraient être vus, parce qu’ils n’ont souvent pas d’accès ailleurs. Les temps d’attente avant d’avoir un lit à l’hôpital aussi augmentent. Donc, ça aussi, ça occasionne des délais, des complications, des hospitalisations qui sont plus longues. C’est vraiment un impact pour les patients. C’est toujours important de se remettre un peu… de remettre la perspective des patients. Parce que trop souvent, quand on voit ces chiffres-là, 150 %, 180 % à l’urgence, quand on voit des durées d’attente, disons, prolongées, des 10 heures d’attente, souvent nous puis les gens qui lisent les journaux ou les décideurs se désensibilisent. Ah, c’est moins pire qu’hier. Hier, c’était 200 %. Donc, il faut vraiment revenir avec la perspective patients, puis dire : ça n’a pas de bon sens d’attendre 8 heures, 10 heures pour voir un médecin. Ça n’a pas de bon sens d’attendre trois jours sur une civière d’urgence, aux bruits, avec la lumière ouverte 24 heures sur 24, à attendre un lit d’hôpital pour être soigné. C’est des choses où il faut faire attention de ne pas se désensibiliser. Il ne faut pas que ça devienne seulement des chiffres, mais ce sont des expériences patients qui sont tout à fait difficiles et inacceptables, en fait, présentement.

Au sujet des temps d’attente. Vous ne savez pas comment, pour le soignant, ça ajoute à l’espèce de détresse morale qu’on vit. Parce qu’on arrive pour travailler, puis on a 10 heures d’attente pour les patients, on a 30, 40 patients dans la salle d’attente et on sait qu’il y a des nouveaux patients qui vont arriver, des patients, disons, parmi certains qui auront des besoins critiques, qui vont peut-être demander une demi-heure de notre attention. C’est une montagne.

D’être exposé à ça jour après jour comme soignant, de dire on ne voit pas le bout, on ne sera pas capable de servir ces patients-là, c’est vraiment difficile. Puis c’est pour ça, probablement, qu’il y en a certains qui quittent. Ce n’est pas ça que j’avais en tête quand je suis devenu infirmier, médecin, préposé. Ce n’était pas pour me faire… être enseveli par toute la charge de travail. C’était pour donner des bons soins. Puis là, ce faisant, pour aller plus vite, on coupe un peu, on donne des soins peut-être moins optimaux. On aimerait passer du temps avec une maman puis son enfant puis donner des conseils adéquats, mais on se sent pressé, donc on va plus vite pour en voir plus, puis ç’a tout plein d’effets pervers, malheureusement, cette charge de travail sur les soignants. Ça génère évidemment des frustrations. Ça génère des frustrations envers… Bien, pourquoi ils n’ont pas pu avoir un rendez-vous dans une clinique? Bien, pourquoi si je demande une consultation ou pour avoir une opération il y a tant de délais? Donc, toutes les autres défaillances du système rajoutent à cette espèce de frustration de ne pas pouvoir bien servir les patients.

Alya Niang

Ah, c’est clair, c’est clair. Il y a vraiment une frustration. On prévoit que l’automne et l’hiver pourraient être difficiles en raison de la COVID et d’autres virus respiratoires, ce qui augmenterait encore la pression sur le système de santé. Comment pourrait-on y remédier rapidement pour éviter les pénuries et est-ce que vous voyez des solutions en cours d’application?

Dre Judy Morris

En fait, ce qui est vraiment difficile, c’est l’état dans lequel on se trouve maintenant. Comme je vous parlais, quand on avait des vagues d’influenza, ah, les gens fonctionnent bien l’année puis, oups!, pendant un mois ça devient plus intense. Là, à chaque vague qui arrive, on en a même eu une cet été, un peu inattendue, de cas de COVID, c’est toujours à chaque fois dire : ah, comment est-ce qu’on va faire pour faire face à ces défis-là? Est-ce qu’il y a des solutions? Je pense que c’est vraiment la volonté de reconnaître que cet enjeu-là est majeur. Il faut qu’il devienne la priorité par les divers gouvernements. Il faut que ça devienne la priorité de dire : la santé, il faut s’en occuper, il faut rajouter du personnel. Puis des fois aussi c’est du personnel, pas besoin d’être des médecins partout. Oui, il manque des médecins. Oui, il va manquer de professionnels de soins. Des fois, on se retrouve à faire le travail parce qu’on manque d’adjoints administratifs. Parce qu’on n’a pas quelqu’un pour s’occuper des ordonnances ou pour faire des téléphones. Ça fait que c’est partout dans le réseau, il faut mettre la priorité, dire : qu’est-ce que ça vous prend pour être efficaces puis comment est-ce qu’on peut pallier à ça? Ça va passer par une reconnaissance du travail qui est fait. Probablement… c’est sûr que si le milieu partout est compétitif, on a de la difficulté à trouver de la main-d’œuvre, bien, il va falloir valoriser le travail qui est fait sur le terrain dans nos centres de soins. Puis probablement aussi, justement, d’amener des nouvelles solutions, de ne pas juste prendre les vieux corps, les vieilles solutions, de dire : tout est sur la table et il faut qu’on mettre de l’avant des initiatives pour supporter notre main-d’œuvre puis pour améliorer les choses rapidement.

Alya Niang

En effet. Et est-ce que présentement vous voyez des solutions en cours d’application?

Dre Judy Morris

Ah. En fait, ça dépend des endroits. Il y a eu plusieurs initiatives qui étaient intéressantes en termes de peut-être recrutement de personnel. Regarder comment on peut, en attendant d’avoir plus de personnel formé, comment est-ce qu’on fait mieux avec moins. Puis il y en a des endroits, des hôpitaux, des régions qui vont dire : OK, on va regarder les ressources qu’on a, comment est-ce qu’on fait pour innover, comment est-ce qu’on fait pour dire on revoit des processus puis dire, oui, bien, on n’est peut-être pas aussi efficace qu’on pourrait l’être. Donc, soyons plus efficaces, collaborons plus. Puis il y aura certainement des questions à se poser aussi dans notre système. Souvent, on fait tout, tout ce qu’on peut. Il y aura peut-être un moment donné où on va dire : on ne peut pas tout faire. Puis il y aura peut-être des décisions, disons, plus difficiles qui devront être discutées avant… mises de l’avant en termes de niveau d’intervention, de soins qu’on donne. Il y a des fois où on pousse la machine parce qu’on peut, mais peut-être qu’on devrait de rasseoir puis dire : qu’est-ce qui est mieux pour la population en général?

Alya Niang

Merci beaucoup, Dre Morris, d’avoir participé à ce balado. Je suis curieuse de savoir où est-ce que nous en serons d’ici un an, puisqu’il s’agit d’une préoccupation majeure pour la plupart des organisations de soins de santé et pour nos responsables de la santé également. Donc, merci encore du temps accordé.

Dre Judy Morris

Ça me fait plaisir.

<musique>

Alya Niang

Les exigences des systèmes de santé du Canada perdureront longtemps après la résorption de la COVID-19, car nous devons faire face à un énorme arriéré de procédures et, pour cela, nous avons besoin d’un personnel de santé solide. L’ICIS publiera de nouvelles données importantes à ce sujet plus tard cet automne. Merci d’avoir participé à notre discussion d’aujourd’hui et rejoignez-nous pour notre prochain balado lorsque nous nous pencherons sur d’autres sujets de santé importants pour vous.

Notre producteur exécutif est Jonathan Kuehlein. Et un grand merci à Aila Goyette et Avis Favaro, l’animatrice du balado de l’ICIS en anglais. Pour en savoir plus sur l’Institut canadien d’information sur la santé, veuillez consulter le site www.icis.ca – le ICIS – où vous pouvez obtenir des données fiables sur des mesures de santé importantes dans tout le pays. N’oubliez surtout pas de vous abonner au Balado d’information sur la santé et écoutez-le sur la plateforme de votre choix. Ici, Alya Niang. À la prochaine.

<Fin de l’enregistrement>

Si vous avez un handicap et aimeriez consulter l’information de l’ICIS dans un format différent, visitez notre page sur l'accessibilité