Au-delà des données sur les blessures auto-infligées : répondre aux appels à l’aide — Éric Arseneault

25 min | Publié le 13 juillet 2021

La pandémie de COVID-19 a affecté la santé mentale de nombreuses personnes. Dans certains cas, elle a engendré des pensées d’automutilation ou de suicide. Dans cet épisode, nous discutons de la crise actuelle avec un travailleur en santé mentale, qui nous donne un aperçu du vécu des intervenants qui répondent aux appels à l’aide.

Cet épisode est disponible en français seulement.

Transcription

Alex Maheux

Cette entrevue discute le suicide et les blessures auto-infligées. Vous pouvez obtenir de l’aide en tout temps en appelant le 911 ou votre centre local d’intervention d’urgence. 

Comme la pandémie Covid-19 évolue rapidement, les circonstances ont peut-être changé depuis l’enregistrement de cette entrevue et ne reflètent pas nécessairement la situation présente. 

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Je suis votre animatrice, Alex Maheux. Dans cette émission de l’Institut canadien d’information sur la santé, nous allons analyser les systèmes de santé du Canada avec des experts qualifiés. Restez à l’écoute pour en savoir plus sur les politiques et les systèmes de santé et sur le travail effectué pour favoriser la santé des Canadiens. 

Plus tôt cette année, l’ICIS a publié un rapport sur les conséquences inattendues de la pandémie de Covid-19, analysant l’impact que la Covid a eu sur la santé mentale des Canadiens. Les données démontrent que les visites aux services d’urgence et les hospitalisations pour les blessures auto-infligées ont diminué au début de la pandémie. Par contre, nous savons aussi que la santé mentale s’est considérablement détériorée et que les gens ont plutôt cherché de l’aide à travers des organisations communautaires. L’ICIS continue de collecter des données afin de mieux comprendre l’impact réel que la Covid a eu sur la santé mentale. Entre-temps, pour nous aider à en avoir une vue plus complète, nous sommes joints par Éric Arseneault, le coordonnateur des services d’intervention du Centre de prévention du suicide de Québec. Éric a plus de 20 ans d’expérience en intervention et occupe aussi le rôle d’expert-conseil au sein de différents comités dans la capitale nationale, un centre administratif au Québec. 

Rappelez-vous que les opinions et les commentaires de nos invités ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Institut canadien d’information sur la santé. Allons-y. 

Alors, bonjour, Éric. Bienvenue au balado de l’ICIS. Comment allez-vous, aujourd’hui?

Éric Arseneault

Très bien. Merci beaucoup de l’invitation. C’est rare qu’on laisse une place à la prévention du suicide dans ce genre d’émissions, puis je trouve ça très intéressant, l’invitation. 

Alex Maheux

Mm-hm. C’est notre plaisir. Je sais que la vie de tous les Canadiens et, en fait, de tout le monde entier a vraiment changé de manière drastique dans la dernière année. Comment est-ce que votre vie, tous les deux, personnelle et professionnelle, a changé dans la dernière année?

Éric Arseneault

La vie a changé beaucoup. En même temps, le travail qu’on fait, nous, est justement d’aider les gens à s’adapter à des difficultés. Des fois, les difficultés sont relatives d’une personne à l’autre. Un événement peut être plus catastrophique pour l’un que pour l’autre. On a développé au fil du temps une vision positive de la crise. Pour nous, c’est un vecteur de changement, la crise, dans l’histoire du monde des événements catastrophiques comme ça, dans les guerres, dans les pandémies. Je n’en ai pas vécu beaucoup de pandémies dans ma vie. Mais des catastrophes naturelles, par exemple, historiquement, le suicide n’est pas nécessairement en hausse dans le début de ces périodes-là, mais ça n’enlève pas qu’individuellement les gens ont eu à s’adapter et, nous, on a une vision de la crise comme, justement, un vecteur d’adaptation. Donc, ça nous a permis d’accueillir non pas différemment notre clientèle ou de s’accueillir, nous, personnellement dans les transitions qu’on a eues à faire pour assurer le service. On a vu ça comme une occasion, justement, de ne pas améliorer – ça serait trop de dire améliorer nos services – mais d’adapter nos services en temps de pandémie. 

On a eu la chance au Québec, puis probablement que c’est partout au Canada aussi, de voir plein d’organisations s’adapter pour garder leurs employés, de s’adapter au télétravail, par exemple. On a assisté à la hausse du télétravail. Pour moi, c’est l’indice majeur que l’être humain est capable de s’adapter à beaucoup, beaucoup de choses. 

Alex Maheux

Exactement. Alors, pour vous aussi personnellement, j’imagine que c’était le gros changement dans la dernière année. 

Éric Arseneault

Disons que le 13 mars dernier, ç’a été le début de quelque chose. On a le souci d’offrir notre service 24 h sur 24, 365 jours par année et c’est ce qu’on fait depuis plus de 45 ans. En même temps, on avait la pression du ministère au mois de mars 2020 de demeurer ouverts, peu importe ce qui allait arriver. Donc, ç’a amené des défis importants. J’ai eu à faire du temps supplémentaire un petit peu plus au début. 

Alex Maheux

J’imagine. 

Éric Arseneault

D’un point de vue plus personnel, ce qui est intéressant, c’est que mes deux frères ont perdu leur emploi au début de la pandémie – ils sont dans un autre secteur d’activité – et je me préoccupais d’eux : « Alors, comment ça va, vous? » Ils étaient en mode : « Bien, écoute, on n’a pas de contrôle là-dessus. En ce moment, j’en profite pour faire des travaux à la maison. On sent que ça va bouger, on sent que ça va changer. » Mais mes deux frères, je ne leur parlais pas nécessairement en même temps, avaient une plus grande préoccupation pour moi : « Oui, mais toi, Éric, tu travailles beaucoup en ce moment, comment tu vas? ». Il y avait comme cette réalité-là qui était particulière de voir des gens où je m’inquiétais : « Ah, mon dieu, ils ont perdu leur emploi ». Je me considérais chanceux d’avoir gardé mon emploi, mais c’était comme un peu les rôles inversés : « Oui, mais prends soin de toi, Éric. Fais attention ». Puis moi, j’avais cette vision d’eux : « Hé, comment vous faites? Comment ça va? ». Donc, c’était intéressant au niveau de l’adaptation de tout le monde, d’un point de vue plus personnel. 

Alex Maheux

Mm-hm. Je crois certainement que la pandémie a donné l’opportunité à rassembler les gens aussi et d’être capables de se supporter un et l’autre. Les données récentes de l’ICIS – je ne sais pas si vous avez vu – ont démontré que les visites aux services d’urgence et les hospitalisations pour les blessures auto-infligées ont diminué à travers la Covid, surtout au début. Par contre, nous savons évidemment que ceci ne raconte pas l’histoire complète. 

Éric Arseneault

Mm-hm.

Alex Maheux

Qu’est-ce que vous avez vu dans vos centres d’appel durant la pandémie? Est-ce qu’il y avait un sens que le volume d’appels a augmenté et les personnes en crise a augmenté?

Éric Arseneault

Les deux, un peu. Au début de la pandémie, un peu comme j’expliquais tantôt, l’achalandage est resté pratiquement le même. On n’a pas vu une augmentation ou une diminution. Effectivement, c’est l’histoire qui va pouvoir nous le dire avec les enquêtes de coroners et tout ça, mais il ne semble pas avoir une augmentation significative des taux de suicide. Je vais parler pour le Québec, parce que j’ai plus accès à ces données-là. On a vu, quand les écoles ont commencé à rouvrir, les gens ont commencé à retourner au travail, une augmentation des appels, des demandes d’aide. Pour nous, ce n’est pas négatif en soi. Ça fait 20 ans que je suis en prévention de suicide, à mon époque quand les gens nous appelaient, ils étaient très, très proches d’un passage à l’acte. Depuis une dizaine d’années, les gens nous appellent pratiquement au début de leur crise. Donc, c’est un peu ce qu’on a vécu en ce moment, pendant la pandémie : les gens nous appelaient parce qu’ils étaient inquiets pour un proche ou ils étaient inquiets pour eux-mêmes, ils venaient de perdre leur emploi. Donc, un moment d’instabilité. La population avait moins d’hésitation à demander de l’aide. 

Au début, ce qui a été un peu différent, ce qu’on a vu augmenter, c’est l’accompagnement des intervenants, notamment pour la violence conjugale, par exemple. C’était beaucoup plus les intervenants qui nous appelaient, parce qu’ils étaient préoccupés pour leur clientèle en violence conjugale ou violence familiale. Les écoles aussi. On a vu une augmentation des appels pour les écoles également, pour les jeunes de 14 ans et moins. 

Alex Maheux

Qu’est-ce qu’on entendait au téléphone? Qu’est-ce qui préoccupait les gens qui appellent durant une pandémie?

Éric Arseneault

Je pense c’était l’isolement, comment vivre l’isolement puis comment s’adapter à l’isolement. Beaucoup de jeunes qui avaient… Par exemple, quand un jeune nous appelait parce qu’il était inquiet pour un autre, règle générale ils se voyaient dans la cour d’école, ils se voyaient après l’école. Là, c’est : on se parle sur MSN, Messenger, on se texte, on ne se voit pas. Donc, le feeling était difficile à percevoir. Est-ce que je m’inquiète? C’est quoi les questions que je devrais poser pour aller clarifier la situation? Donc, c’était souvent pour accompagner, aller préciser leur perception qui était nuancée dans le contexte d’isolement social, si on veut. Par Zoom, par exemple, on peut fermer la caméra. Est-ce que je m’inquiète? Les propos. Souvent, on avait des gens qui nous appelaient pour nous poser la question : est-ce que je m’inquiète pour de faux ou…? Qu’est-ce qui devrait m’inquiéter? Qu’est-ce qui ne devrait pas m’inquiéter? C’est quoi les questions que j’ai à poser à mon proche pour aller clarifier la situation? 

Alex Maheux

C’est certain que les personnes vivaient l’isolement comme ils n’ont jamais vécu. Alors, c’est certain qu’il y a sûrement beaucoup de questions qui accompagnent ça. Sur l’autre côté des choses, comment vous sentez-vous quand vous répondez à un appel de détresse? Comment c’est sur l’autre côté des appels?

Éric Arseneault

C’est sûr qu’au centre de prévention du suicide on a développé une expertise dans l’intervention téléphonique. Ça, ça n’a pas tant changé dans notre façon d’accueillir la détresse. On a souvent une perception… En fait, je pense qu’au fil des ans, nos outils pour estimer la dangerosité d’un passage à l’acte ont beaucoup, beaucoup évolué. Donc, on va aller explorer avec notre clientèle les facteurs les plus proximaux d’un passage à l’acte, ce qui devrait nous inquiéter plus. Par exemple, le fait d’avoir une planification suicidaire ou le fait d’avoir des antécédents suicidaires. C’est des questions qu’on est habitué de poser pour aller évaluer le danger ou estimer le risque d’un passage à l’acte. En même temps, ces outils ne valent rien si on n’a pas l’accueil des réponses que les gens ont à nous offrir. On a vraiment développé une approche où on va voir l’individu plus grand que ses préoccupations actuelles. Au-delà de ses difficultés, on va essayer d’identifier avec lui ses forces, des choses qu’il a déjà réussi à faire pour se protéger par rapport au suicide, par exemple, ou réanimer peut-être des raisons de vivre que la personne a oubliées ou a modifiées au fil du temps pour en arriver à dire : bien, ma vie ne vaut plus rien. Donc, c’est comment on va accueillir ça. 

L’approche qu’on utilise en prévention du suicide ou du moins la philosophie d’intervention vise à travailler l’ambivalence de la personne. Pour nous, l’ambivalence, c’est la partie qui veut mourir au moment du contact et en même temps la partie qui veut vivre. Donc, comment bien accueillir la partie qui veut vivre, tout en écouter la partie qui veut mourir. Puis ça, malheureusement, dans les réseaux locaux de santé, les intervenants, pour eux c’est souvent contre-intuitif d’accorder de l’importance à la partie qui veut mourir, parce que si je ne le fais pas bien, je n’aurai pas accès à la partie qui veut vivre. Notre travail va être vraiment d’accueillir ces deux parties. Quand une personne nous dit : je n’y arriverai pas. Nous, avec notre douce insistance, on va lui refléter qu’on entend aussi qu’ils ont en vie d’y arriver, de réussir à quelque chose. Donc, on va vraiment travailler sur ces deux niveaux pour permettre à la personne 1) de reprendre le contrôle, puis 2) de trouver une nouvelle direction ou une direction ou un petit pas vers de la résolution de problèmes. On parle vraiment de l’intervention de crise dans l’ici et maintenant. 

Souvent, l’intervention de crise en prévention du suicide ne s’arrête pas à un contact. On va prévoir avec la personne des contacts dans le temps plus rapprochés pour des gens que leur sécurité nous inquiéterait, puis plus éloignés pour des gens qui sont peut-être plus en contrôle. 

Alex Maheux

D’accord. C’est super intéressant et vraiment important, le travail que vous faites. Je ne peux vraiment pas imaginer comment difficile et pesant votre travail que vous faites et que les intervenants font chaque jour. Comme coordonnateur du service, comment faites-vous pour supporter les intervenants et aussi garder le moral de l’équipe? 

Éric Arseneault

C’est sûr que je ne vous cacherai pas qu’en prévention du suicide, l’important c’est le travail d’équipe. Chaque intervention est collective au centre de prévention du suicide. C’est aussi le discours qu’on va tenir aux clients qui nous appellent. Faites partie de l’équipe pour protéger votre ami, par exemple. On va travailler ensemble pour vous aider à vous mettre en sécurité. Ça, ça nous aide beaucoup. On ne se le cachera pas. Aussi l’humour fait partie pour nous de prendre soin de soi. Il y a quelque chose d’important, dans le fond, de croire en notre client. Des fois, malheureusement, il y a des clients qui vivent des choses, très, très difficiles. On a aussi des clients pour qui, malheureusement, la résolution de problèmes ne fonctionne pas parce qu’ils ont des problèmes inrésolubles, si on veut. Je donne souvent l’exemple des gens qui sont endeuillés par suicide. La résolution de problèmes serait de ramener à la vie le proche qu’ils ont perdu, ce qui est impossible. On n’a pas de baguette magique au centre de prévention du suicide pour le faire, donc la résolution de problèmes ne fonctionne pas. Comment on va accueillir ces gens puis les aider, un, à vivre avec la perte de leur être cher, mais aussi à reconnecter avec leur raison de vivre à eux ou à reconnecter auprès de leur force aussi. 

C’est pour ça qu’on a développé d’autres approches que la résolution de problèmes, sans dire que la résolution de problèmes ne sera pas un élément de notre intervention. Mais parfois, quand on parle de santé mentale ou de maladies mentales, la résolution de problèmes ne fonctionne pas, il faut trouver d’autres choses. 

Alex Maheux

Mm-hm. J’aime que vous aviez parlé de donner des outils aussi aux intervenants et essayer de leur donner le plus possible pour être capables de s’adapter à chaque appel. Vous offrez du soutien à vos intervenants, vous aidez vous-même à répondre aux appels de crise difficiles. Éric, qu’est-ce que vous faites pour votre propre santé mentale? 

Éric Arseneault

Bien, je pense qu’on aura beau avoir les meilleurs ordinateurs au monde, le principal outil d’intervention d’un intervenant, c’est ce qu’il est. Donc, il faut prendre soin de cet individu. Je parlais d’humour tantôt. L’outil de travail le plus important, c’est la supervision. Donc, de travailler à comprendre ce que moi je vis. Malheureusement, c’est difficile. J’aimerais ça vous répondre : ce qui se passe au travail reste au travail, puis à la maison on fait d’autres choses. Dans notre travail, c’est difficile de faire la part des choses, parce que mon outil travaille tout le temps. Le fait de partager ça en équipe permet de partir peut-être la tête plus reposée à la maison. Mais le côté vie personnelle est important aussi. C’est drôle, vous me disiez tantôt : « C’est difficile de percevoir le travail que vous faites ». En même temps, on a les outils pour le faire. J’ai la même réflexion quand je parle avec mon ami qui est pompier : « Mais comment tu fais? C’est fou ce que tu fais ». Il me dit : « Oui, mais, Éric, je ne suis pas un héros. Je ne me jette pas dans le feu n’importe comment, je suis outillé. »

Alex Maheux

Mm-hm. C’est planifié. 

Éric Arseneault

C’est planifié, c’est structuré. Pour nous, c’est la même chose, en prévention du suicide. L’intervention est, oui, adaptative au client, mais elle est structurée, planifiée. On ne se jette pas dans l’intervention non outillé. Donc, ça, ça vient comme aider un petit peu le décrochage quand j’arrive à la maison pour dire : OK, le travail a été fait, puis la suite des choses va être reprise par mes collègues. Donc, la confiance du travail d’équipe et tout ça est importante. 

Alex Maheux

Mm-hm, absolument. À l’ICIS, nos données abordent souvent les tendances à un haut niveau, mais avec votre travail vous voyez vraiment les choses sur le terrain. Quelle est une chose ou une couple de choses que vous voudriez qu’un décideur politique ou un responsable des soins de santé sache que les données ne démontrent peut-être pas?

Éric Arseneault

C’est une bonne question. Je pense qu’on a connu des fois dans… je vais parler de la prévention du suicide parce que c’est plus mon domaine d’expertise. Il y a 20 ans, quand j’ai commencé en prévention du suicide, il y avait peu ou pas de communications entre les dirigeants et le plancher, les intervenants terrain et tout ça. Il y a une dizaine d’années, là où il y a eu un déclic important, c’est quand les gens se sont mis à s’écouter un petit peu plus à la fois les chercheurs fondamentaux qui disaient : la prévention du suicide, c’est ça, que les cliniciens du terrain qui développaient des outils d’intervention, pour rejoindre les hommes, par exemple. Moi, à mon époque, les hommes n’appelaient pas dans les centres de prévention du suicide, mais depuis une dizaine d’années, les hommes appellent plus. Donc, comment on peut amener les décideurs à mieux écouter le terrain et vice versa, dans le sens où, le terrain, comment il peut avoir une façon de communiquer avec les décideurs aussi. 

Je n’ai pas de bonne réponse, finalement. J’écoute ce que je suis en train de vous dire, je n’ai pas tant de bonnes réponses. Mais les canaux de communication sont souvent plus importants. Des fois, c’est le fun de faire parler des statistiques puis de développer des plans d’action panquébécois, pancanadiens en santé mentale ou en prévention du suicide. C’est hyper important. Il y a une dizaine d’années, au Québec, il y avait ça, une volonté politique par rapport à la prévention du suicide. Une fois que le tour de roue a été fait ou la politique n’était plus au premier plan, le taux de suicide a commencé à rebouger un petit peu. Donc, ça prend une implication de nos décideurs à dire : c’est important, la prévention du suicide. En même temps, les intervenants terrain doivent être outillés. 

Comme je vous disais tantôt, malheureusement c’est encore contre-intuitif des fois d’accueillir la partie qui veut mourir. Ce n’est pas rare que les intervenants du réseau vont rapidement appuyer sur le bouton urgence, envoyer la personne à l’hôpital. La personne va faire un court séjour à l’hôpital, ressortir avec aucun filet de sécurité. Donc, comment on peut bien outiller les intervenants terrain pour accueillir, désamorcer la crise. Puis, oui, il y a des cas qui doivent se rendre dans un contexte d’hospitalisation, mais ce n’est pas la majeure des cas qui devrait se rendre à l’hôpital. Il y a d’autres options qui sont plus efficaces pour la personne. Donc, comment on peut outiller les intervenants du réseau à reconnaître ces étapes, avant de dire à notre client, puis c’est exactement ce qu’il dit à notre client : je ne vous écoute pas, vous me parlez de suicide, je vous envoie à l’hôpital. Le client, ce qu’il comprend, c’est : « Bien, ça ne me donne rien d’en parler » versus d’accueillir : « Wow, vous avez bien fait de nous appeler, ou de ne pas rester seul avec vos idées suicidaires ». 

Donc, c’est peut-être un peu le tour de roue qui a commencé depuis une dizaine d’années à être présenté aux intervenants terrain. Malheureusement, c’est peut-être demeuré un petit peu trop longtemps au niveau des décideurs, puis ces informations n’ont pas nécessairement descendu au niveau des intervenants terrain. Malheureusement, je n’ai pas toujours des bonnes réponses, moi, quand un journaliste vient me voir puis il me dit : « Parle-moi des statistiques ». Pour moi, la crise est plus positive qu’on pense, puis si les intervenants étaient capables d’accueillir la crise de façon plus positive, on verrait derrière… en fait, les ressources de la personne. C’est ça qui est le plus important que j’ai envie de lancer dans mon discours. Pour nous, la crise suicidaire n’a pas nécessairement de date ou d’événements précis. La souffrance est partout, elle est toujours là. Quand on est capable de démystifier cette souffrance ou du moins donner un sens à cette souffrance, c’est là où on voit l’adaptabilité. C’est ça qui est le plus important. Peu importe l’approche, peu importe le diagnostic qu’on pourrait donner à une personne, pour moi c’est plus important de redonner les lettres de noblesse à ce petit instinct de survie que l’humanité a ou que l’individu a. 

Alex Maheux

Mm-hm. Non, c’est une super bonne réponse. Ce que j’en tire, c’est que c’est super important de s’écouter à tous les niveaux et c’est vraiment essentiellement ce que votre service offre aux personnes dans le besoin. Une fois que la pandémie sera finie, on espère qu’il y a de l’espoir qui s’en vient, qu’est-ce que vous pensez que l’impact sera sur le travail que vous faites? Aussi, comme deuxième question, qu’est-ce qui vous donne de l’espoir pour le futur?

Éric Arseneault

Je souhaite qu’il y ait plein de positif par rapport à ce qu’on a vécu pendant la pandémie. Il y a quelque chose d’aidant de se préparer à des catastrophes, puis il y a quelque chose d’aidant aussi à vivre des catastrophes. La pandémie, c’est une catastrophe mondiale, mais à plus petite échelle, la catastrophe fait partie du changement. Donc, moi, j’espère que l’idée du travail collectif va rester. C’est ça qui a été beau pendant la pandémie. Tous les secteurs d’activité s’écoutaient plus peut-être. Donc, je souhaite un peu ça. À plus petite échelle, moi, se laver les mains, j’espère qu’on va poursuivre ça, parce que j’ai eu moins de gastros, moins de grippes au travail cette année parce que les gens désinfectaient leur poste de travail et tout ça. Cette hygiène est intéressante aussi. Pour moi, je pense qu’on va grandir de ça, puis on le voit déjà dans plusieurs secteurs d’activité auprès des personnes âgées. Déjà il y a 20 ans, c’était un angle mort en prévention du suicide, les personnes âgées. On banalisait le décès par suicide des personnes âgées. C’est quelque chose qui vient, comme, réactualiser des angles morts qu’on connaît depuis longtemps. Pour moi, c’est intéressant qu’on s’y attarde beaucoup. 

En même temps, mon souhait serait qu’on n’oublie pas, postpandémie, que c’est une clientèle qu’on doit maintenir. En même temps, qu’est-ce qui nous donne espoir, qu’est-ce qui fait que je suis toujours en prévention du suicide? Bien, justement, moi, j’ai eu la chance de parler à des gens qui avaient perdu espoir, qui étaient rendus à donner leur 4 % à l’humanité de dire « Moi, je donne ma démission du monde, je veux disparaître », de par notre écoute, l’accueil de ces gens-là, de voir évoluer des raisons de vivre, des gens qui retrouvaient espoir. Pour moi, c’est un gage d’espoir, puis je l’ai vu pendant la pandémie. Je l’ai vu avant la pandémie, je l’ai lu dans les livres lors des grandes guerres. J’ai vraiment bon espoir qu’on va tirer parti de ça, puis apprendre, puis évoluer encore. 

Alex Maheux

Mm-hm, certainement. Éric, merci de nous avoir donné espoir. Merci pour le travail important que vous faites chaque jour, à vous et vos intervenants et merci de nous avoir éclairés sur un sujet si important aujourd’hui. 

Éric Arseneault

Merci beaucoup de l’invitation encore une fois. 

Alex Maheux

Merci d’avoir été à l’écoute. Nous espérons que cet épisode vous a plu. Revenez-nous bientôt, car nous continuerons à présenter des points de vue intéressants et à décortiquer les sujets liés à la santé qui vous intéressent. Pour en savoir plus sur l’ICIS, visitez notre site Web icis.ca  Si vous avez apprécié notre discussion d’aujourd’hui, abonnez-vous à notre balado, laissez-nous un commentaire et suivez-nous sur les réseaux sociaux. Cet épisode a été produit par Jonathan Kuehlein, avec l’aide d’Amie Chant, Marisa Duncan, Shraddha Sankhe et Ramon Syyap. Ici Alex Maheux, merci de suivre le Balado d'information sur la santé au Canada. À la prochaine.

<Fin de l’enregistrement>
 

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