Dons d’organes et transplantations au Canada — Dr Joseph Kim et Sandra Holdsworth

30 min | Publié le 24 janvier 2022

La COVID-19 a eu des répercussions sur chaque aspect du système de santé au Canada, et les dons et transplantations d’organes sont l’un des domaines les plus touchés par ces répercussions. En 2020, une baisse de 14 % des transplantations d’organes pleins a été observée : 4129 Canadiens étaient en attente d’une transplantation et 276 patients en attente sont décédés. Le Dr Joseph Kim, néphrologue et coprésidant du Groupe de travail sur les systèmes de données de la Collaboration en matière de dons et de greffes d’organes de Santé Canada, et la patiente Sandra Holdsworth, bénéficiaire d’une transplantation hépatique et militante reconnue, se joignent au Balado d’information sur la santé au Canada pour discuter avec nous de la réalité des médecins et des patients au sein du système et de possibles solutions pour sauver plus de vies et en améliorer la qualité.

Cet épisode est disponible en anglais seulement.

Transcription

Alex Maheux

Bonjour, bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Je suis votre animatrice, Alex Maheux. Dans cette émission de l’Institut canadien d’information sur la santé, nous allons analyser les systèmes de santé du Canada avec des patients et des experts qualifiés. Joignez-vous à moi alors que j’analyse les données pour en savoir plus sur le travail qui est fait pour nous garder tous en bonne santé.

La pandémie de COVID-19 a ajouté une couche de complexité à presque tous les niveaux de soins de santé au Canada, et son impact s’est fait particulièrement sentir sur les dons et les transplantations d’organes. Une nouvelle analyse de l’ICIS révèle que le pourcentage de personnes au Canada qui ont reçu une greffe d’organe solide a diminué de 14 % en 2020. Ce système est confronté à des défis supplémentaires dus à d’autres facteurs clés également.

Dans l’épisode d’aujourd’hui, nous nous entretenons avec le Dr Joseph Kim, néphrologue et coprésident du Goupe de travail sur les systèmes de données de l’initiative Collaboration en matière de dons et de greffes d’organes de Santé Canada. Nous nous entretenons également avec Sandra Holdsworth, greffée d’un foie, et défenseure primée. Nous en saurons plus sur ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur du système, et sur ce qui pourrait être fait pour aider à sauver plus de vies. 

<Musique>

Dr Kim bienvenue au balado.

Dr. Joseph Kim

Je vous remercie pour l’invitation.

Alex Maheux

Sandra, c’est un plaisir de vous recevoir. Comment allez-vous aujourd’hui?

Sandra Holdsworth

Ça va bien, merci.

Alex Maheux

Dr Kim, commençons par vous. Vous êtes un spécialiste dans ce domaine et avez de nombreuses années d’expérience en transplantation d’organes. Et pour aider notre public à définir le cadre de la conversation que nous allons avoir et à mieux comprendre la complexité du don d’organes au Canada, pouvez-vous expliquer certains des principaux défis dans ce domaine?

Dr. Joseph Kim

Oui. Merci pour la question. Le don et la transplantation d’organes sont deux activités distinctes, mais elles sont bien sûr intimement liées. Et en fin de compte, ce que le système essaie de faire, c’est de réaliser des greffes d’organes glycémiques chez les patients qui en ont besoin. Et donc, le système soutient globalement cet effort. Pour ce faire, cependant, nous avons besoin d’organes, et c’est là que le système de don entre en jeu. Nous avons besoin d’un mécanisme pour fournir ces organes. C’est ce qu’on appelle un système d’attribution. Enfin, nous devons trouver un moyen d’acheminer ces organes vers les patients et de nous assurer qu’ils fonctionnent bien; c’est le système de transplantation. Et, vous savez, la transplantation, la transplantation à partir d’un don en tant qu’entité existe depuis plusieurs décennies, mais elle s’est réellement imposée comme une option thérapeutique viable pour les personnes au stade terminal de l’insuffisance organique au milieu des années 50, lorsque la première greffe interhumaine réussie a eu lieu entre des jumeaux. Et cela s’est fait à l’hôpital Peter Bent, à Boston, qui est aujourd’hui le Brigham and Women’s Hospital. Mais il s’est avéré que l’un des jumeaux avait une maladie rénale et ça a plutôt bien marché. Et ensuite, nous sommes passés aux traitements que nous pouvions utiliser pour essayer de prévenir le rejet et, à l’heure actuelle, la transplantation est vraiment la norme de soins pour les patients dont les organes sont défaillants. Qu’il s’agisse d’une insuffisance rénale, hépatique, cardiaque, pulmonaire ou pancréatique, etc. C’est donc devenu une sorte de procédé courant, et les patients se portent très bien pendant de nombreuses années après la transplantation. C’est très, très gratifiant. C’est l’une de ces deux raisons d’être heureux de venir à l’hôpital. La première est pour avoir un bébé et la seconde, pour recevoir une greffe. Et donc, c’est généralement un événement très heureux.

Alex Maheux

Bien, sur cette note, je vais donner la parole à Sandra. Sandra, vous l’avez vécu personnellement. À l’âge de 18 ans, je crois, vous avez reçu de mauvaises nouvelles. Pouvez-vous nous parler un peu de votre expérience en matière de don et de transplantation d’organes?

Sandra Holdsworth

Oui, merci Alex. En fait, je n’avais pas 18 ans, c’est entre mes 18 et 28 ans que j’ai cherché ce qui n’allait pas chez moi, car je savais que quelque chose n’allait pas dans mon corps. J’ai vu plusieurs médecins. Je travaillais à Toronto, mais lorsque j’ai atterri dans ma ville natale, Aurora, j’ai eu besoin d’un nouveau médecin de famille, et c’est elle qui a pris sa retraite hier après 32 ans de pratique. Donc, quand je lui ai parlé de mes antécédents médicaux, elle s’est dit : « Oh, je ne veux pas être un autre médecin qui ne peut pas aider cette fille. » Elle a donc fait tous les tests possibles et mon bilan hépatique était anormal. Elle a fait la meilleure chose qu’elle pouvait faire : elle m’a envoyée à la Toronto Liver Clinic dirigée par le Dr Morris Sherman à l’époque. Une maladie rare du foie a été diagnostiquée, la cholangite sclérosante primitive. Au cours des mois suivants, on m’a également dit que j’avais la maladie qui y est parfois associée, la maladie de Crohn ou colite. 

J’ai encore la note que le Dr Sherman m’a remise et qui indiquait que vers 40 ou 50 ans, j’aurais besoin d’une greffe de foie. Alors à 28 ans, ça semble loin. Mais, malheureusement, ce n’était pas le cas, et c’est ce qui se passe avec les maladies du foie. Nous ne savons pas, par exemple, à quel rythme la maladie va progresser. Je me suis donc retrouvée à voir l’équipe de transplantation et certaines des choses dont le Dr Kim vient de parler. Je pense que parce que j’ai reçu ma greffe en 1997, j’ai bénéficié de l’expérience qui s’était déroulée auparavant, mais aussi du développement de nouveaux médicaments. 

Alors oui, je me suis réveillée aux soins intensifs après l’intervention. Je pense que c’était assez drôle quand le Dr Kim a dit qu’on allait à l’hôpital pour deux raisons, pour avoir un foie ou pour avoir un bébé. Mais la maladie du foie entraîne une ascite. Une ascite est une accumulation de liquide, donc on dirait qu’on est enceinte. Et, vous savez, l’une des raisons pour lesquelles j’ai eu la chance de recevoir ma greffe à un jeune âge est que j’espérais pouvoir avoir un enfant.

Alors quand je suis arrivée à l’hôpital et que le personnel de l’urgence m’a demandé si je venais pour accoucher, j’ai répondu que je venais accoucher d’un foie. Donc, en ce qui concerne mon foie, je suis extrêmement reconnaissante. J’apprécie chaque journée, je suis très reconnaissante envers l’équipe. Ma maladie de Crohn s’aggravait et après avoir essayé différents médicaments pendant de nombreuses années, j’ai eu une stomie permanente. Quant à ma transplantation, c’est une réussite, et je ne suis même plus suivie par l’équipe de transplantation. Je vois régulièrement un médecin ici, près de Barrie, et oui, ça fera 25 ans en février.

Alex Maheux

Félicitations! Examinons d’un peu plus près les problèmes liés aux systèmes et certains des obstacles qui empêchent des personnes comme Sandra d’obtenir les organes dont elles ont besoin. Nous parlons de l’offre et de la demande, de certains obstacles cliniques, de ce que les patients et les familles doivent endurer pour y parvenir. Dr Kim, pouvez-vous parler un peu plus en détail des principaux défis à relever?

Dr. Joseph Kim

Vous avez tout à fait raison. Lorsque nous pensons aux principaux défis en matière de don et de transplantation d’organes, nous pensons généralement à la disponibilité des organes et au fait qu’il n’y a pas assez d’organes pour les patients qui en ont besoin. Heureusement, de nombreux efforts ont été déployés au Canada et ailleurs pour intensifier les activités de dons. Le Canada a donc fait beaucoup mieux pour accroître la disponibilité des donneurs au fil du temps, même si, bien sûr, la pandémie de COVID-19 a eu sa propre incidence négative, malheureusement.

Il y a aussi le don vivant, en particulier de rein et de foie, qui nous permet d’étendre nos occasions pour la transplantation chez les patients qui ont besoin d’un rein ou d’un foie, et le Réseau universitaire de santé, en particulier, est un leader mondial en matière de dons de reins et de foie, ce qui constitue un moyen très important d’élargir ce champ d’action. Mais ce qui reste un obstacle majeur, c’est la disponibilité des organes.

L’autre question à prendre en compte est celle de la compatibilité des organes. Et ce n’est pas tant un problème pour un foie, curieusement, mais c’est plutôt un problème pour un rein où non seulement il doit y avoir compatibilité des groupes sanguins, mais également une compatibilité immunitaire. Ainsi, parfois, en particulier si une personne a déjà subi une transplantation ou reçu des transfusions sanguines ou d’autres produits sanguins, ou chez les femmes qui ont déjà eu des grossesses, il s’agit d’occasions pour le corps d’interagir avec les cellules ou les protéines d’autres personnes. Par conséquent, le système développe une immunité contre lui et il peut en fait détecter l’organe du donneur comme étant un problème et le rejeter immédiatement. C’est donc là que la compatibilité est importante. Parfois, ça peut être une étape limitante. Mais encore une fois, le Canada a été à l’avant-garde dans ce domaine.

Ainsi, dans le contexte du don vivant, si vous avez un donneur vivant volontaire et médicalement admissible qui n’est pas compatible avec vous, nous pouvons offrir son rein à une autre personne au pays grâce à un système administré par la Société canadienne du sang. Nous avons donc un réseau que nous appelons le don croisé de rein. Par exemple, mon donneur peut donner à quelqu’un d’autre, et le donneur de cette autre personne peut donner à quelqu’un d’autre, et finalement un rein me revient également dans le cadre d’une chaîne. Il s’agit d’une innovation remarquable qui est en place depuis maintenant plus de dix ans je pense, et qui a permis de réaliser des centaines de transplantations qui n’auraient jamais eu lieu. 

Les problèmes du système représentent l’autre défi majeur. Je vais laisser Sandra parler des défis que doivent surmonter les patients et les familles également, qui sont très importants. Le dernier point que j’aborderai est la question des greffes et la nécessité de veiller à ce que les organes greffés fonctionnent le plus longtemps possible. 

Ainsi, notre objectif en matière de transplantation est essentiellement de redonner les années de vie perdues à une personne dont l’organe est défaillant, grâce à une transplantation. Ainsi, il est possible d’imiter l’espérance de vie d’une personne qui n’aurait pas eu de défaillance organique. C’est l’idée. Mais, malheureusement, il existe des facteurs susceptibles de raccourcir l’espérance de vie de l’organe, comme les maladies immunitaires, les infections, les cancers ou les maladies cardiaques. Il s’agit donc d’un autre défi majeur auquel nous sommes confrontés et auquel nous essayons de nous attaquer. Les progrès technologiques et thérapeutiques que nous avons mis de l’avant nous aident à y parvenir et l’espérance de vie de ces organes s’est remarquablement améliorée au fil du temps. Nous avons des patients qui ont survécu de 40 à 50 ans avec ces organes, et nous espérons que cela pourra devenir une norme pour la grande majorité des patients au fil du temps. Mais nous devons continuer à travailler sur cette question.

Alex Maheux

Absolument. Et vous parlez du fait que nous disposons d’un nouveau réseau, que nous avons fait d’énormes progrès pour offrir les organes disponibles aux personnes qui en ont besoin, mais les patients passent beaucoup de temps sur la liste d’attente. Sandra, vous qui étiez sur la liste d’attente il y a plusieurs années, comment avez-vous vécu cette période d’attente?

Sandra Holdsworth

Eh bien, c’était difficile. Comme j’ai essayé de l’expliquer, je pense que nous, les patients, nous sommes en quelque sorte pris dans des montagnes russes. Nous avons reçu un diagnostic et nous savons que nous avons besoin d’une transplantation. Nous allons simplement voir le médecin, nous faisons face aux problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent. Mais je pense que nous ne nous rendons pas compte de l’incidence que cela a sur nos aidants naturels et nos proches. Et j’ai remarqué que, vous savez, quand ma mère s’est effondrée le jour de mon opération, mon mari a eu une... quand je prenais énormément de prednisone, mais que j’étais en vie, vous savez, il était toujours dans ces montagnes russes. 

À l’époque, la liste d’attente n’était pas aussi longue qu’aujourd’hui. Par exemple, il y avait encore plus de 100 personnes en attente d’un foie, et je lis encore dans le journal que des gens meurent en attendant un organe. Je me souviens d’une femme qui écrivait à propos du décès de son mari. De nombreuses personnes m’ont proposé de faire don de leur foie, mais il n’existait pas de programme de don vivant à l’époque. Et vous savez, à 28 ans, on veut vraiment te battre pour survivre. Donc, vous savez, il faut prendre ça une journée à la fois, il faut faire face aux problèmes qui se présentent. Mais ça devient lourd aussi parce que vous savez qu’une personne va mourir. Une personne va mourir et sa famille va être déçue. 

Ma nièce qui avait 9 ans à l’époque a trouvé quelque chose de vraiment cool. C’était dans le temps de Noël et je n’étais pas en mesure de participer aux événements familiaux. J’étais allongée dans mon lit. Elle avait 9 ans. Elle est entrée dans la chambre et a dit « Tante Sandra », et elle m’a demandé ce qui se passait, et j’ai dit : « Oh, j’ai très mal et il me faut un nouveau foie. » Et elle a dit : « Tu sais quoi? Quand nous allons rentrer à la maison, nous allons passer devant le cimetière. Je vais demander à mes parents d’aller te chercher un organe parce qu’ils se trouvent juste là. »

Et vous savez ce que j’ai pensé? Voici une enfant de 9 ans qui a tout compris. Alors je me suis dit, qui suis-je pour penser que je contrôle la vie et la mort? Je ne le fais pas. Cette nuit-là, j’y ai repensé et je me suis dit que si les médecins m’avaient dit « Sandra, nous sommes désolés, nous ne pouvons rien faire pour toi », je l’aurais accepté parce que j’avais fait la paix, mais je n’étais pas prête. J’étais prête à me battre, et je l’ai fait. Je suis extrêmement reconnaissante envers mon donneur chaque jour. Je pense à eux. Je travaille avec beaucoup de familles de donneurs, mais vous savez... Et parfois, maintenant que j’ai commencé à raconter mon histoire, ça déclenche ces émotions. Mais c’est bien parce que ça me fait apprécier la vie et je pense que c’est important.

Alex Maheux

Je ne peux pas imaginer le mélange et les montagnes russes d’émotions qui en découlent. Dr Kim, je pense aussi qu’il y a évidemment une incidence considérable sur la vie personnelle, non seulement de ceux qui attendent des organes, mais aussi de leurs familles, de leurs amis et de leurs réseaux. Quelle est l’incidence sur le système d’avoir des patients sur des listes d’attente?

Dr. Joseph Kim

Oui, il y a une incidence considérable. Évidemment, l’expérience du patient et de la famille est primordiale et nous la conservons toujours au centre de tout ce que nous faisons. Mais il est certain que les patients qui sont sur une liste d’attente pour un organe sont des personnes malades, et qu’ils doivent donc continuer à accéder à des soins de santé pour diverses complications, pour des problèmes.

Par exemple, les patients ayant des problèmes rénaux continuent de subir des dialyses, et c’est un traitement important qui a un coût énorme pour la société. De plus, ce n’est pas le traitement parfait, car les patients peuvent développer une infection de leur cathéter de dialyse et d’autres problèmes. Et donc, si nous pouvons leur transplanter un organe plus tôt, nous pourrions prévenir beaucoup de ces problèmes. Il ne fait donc aucun doute que le fardeau est énorme pour les patients et les familles, mais aussi pour le système de santé en général. De même, les dispensateurs de soins, ceux qui, vous savez, font ce travail jour après jour et qui veulent simplement être en mesure de fournir les meilleurs soins aux patients. Et le fait de ne pas pouvoir le faire d’une manière qui nous semble la plus bénéfique pour le patient est quelque chose qui pèse lourdement sur les dispensateurs également. Nous essayons toujours de trouver des moyens de fournir les meilleurs traitements possibles aux patients. Et le problème de la rareté des organes, qui nous empêche de transformer la vie de ces patients en effectuant une transplantation comme celle de Sandra en temps voulu, est un facteur de stress énorme pour nous aussi. Mais, bien sûr, cela fait pâle figure en comparaison de l’expérience des patients et de leurs familles, sans parler du fait que le système inclut tout le monde. Et je pense, comme vous l’avez suggéré, que le fait que des patients attendent des organes a des implications dans tous les domaines.

Alex Maheux

En effet. Vous parlez des pressions exercées sur le système, malheureusement, je dois évoquer la COVID-19. Sandra, en tant que greffée, comment avez-vous vécu ces deux dernières années de pandémie avec tout le stress qui en découle?

Sandra Holdsworth

Eh bien, il y a du bon et du mauvais. Je vais commencer par le bon, car il y a tellement de mauvais. Ce qui est bien pour les personnes greffées, c’est que le grand public comprend mieux ce à quoi ressemble la vie de ces personnes. Il y a bien des choses que nous faisons actuellement, comme se laver les mains, porter un masque, ne pas aller au travail si on est malade, qui sont des choses que les greffés doivent faire. 

Vous savez, j’étais très frustrée par le comportement des gens. Je travaillais dans un petit bureau et ma patronne venait travailler même quand elle avait un rhume, pensant qu’elle était une sorte de guerrière. Je lui disais : « Non, restez chez vous. » Nous nous protégeons davantage des germes. Il y a beaucoup de gens qui, six mois après leur greffe, vont porter un masque dans le métro ou ailleurs pour se sentir plus à l’aise. J’ai été greffée il y a 25 ans et j’utilise du désinfectant pour les mains. Chaque fois que je vais dehors pendant les mois d’octobre, novembre, décembre, janvier et février, je porte des gants. Je ne touche rien avec mes mains. Voilà pour les bonnes choses.

Une des moins bonnes choses, c’est qu’il semble y avoir un manque d’empathie pour les personnes immunodéprimées et les personnes âgées. Une autre moins bonne chose, c’est que nos médecins n’ont pas fait ces greffes pour que nous restions assis à la maison et que nous soyons isolés. Nous sommes une communauté, une famille, et nous nous épanouissons en étant ensemble. Et notre santé mentale, tout comme celle de nos médecins, a été gravement affectée. Quand le Dr Kim annonce que le programme est mis sur pause, je ne pense pas que nous réalisions... en tant qu’être humain, nous sommes touchés de voir des gens qui sont sur la liste d’attente et qui ne reçoivent pas de greffe. Ou encore de voir de jeunes gens mourir parce qu’ils n’ont pas pu recevoir leur greffe à temps. Et malheureusement, cela arrive trop souvent.

Je vais maintenant parler des données et de ce que j’aimerais voir. Je pense que les données sont importantes lorsque nous examinons ce que nous appelons les résultats déclarés par les patients, car nous voulons être en mesure d’examiner la santé mentale dans son ensemble. Mon objectif est de pouvoir intégrer à la procédure de transplantation non seulement l’organe qui entre dans notre corps, mais aussi une dose de santé mentale, d’exercice et de nutrition, car nous ne sommes pas seulement nos organes, nous sommes un tout. C’est quelque chose que j’essaie de changer, et c’est là que les données sont importantes. Combien de patients souffrent de trouble de stress post-traumatique après une transplantation? Combien de patients sont anxieux avant leur transplantation? Et aussi, quelle est l’incidence sur les aidants naturels? C’est donc une question que j’aimerais voir abordée en tant que défenseure et personne impliquée dans le don d’organes et de tissus et la recherche dans ce domaine.

Alex Maheux

En effet. Je crois que c’est d’une importance capitale. Et je voudrais vous demander, Dr Kim, comment gérez-vous cela compte tenu des listes d’attente et des interventions chirurgicales en attente dans le contexte de la pandémie de COVID-19? Quelle incidence la situation a-t-elle eue sur vous?

Dr. Joseph Kim

C’est certainement ce que nous faisons et donc ne pas pouvoir le faire a une incidence importante. Et encore une fois, notre objectif est de fournir le meilleur service possible à nos patients, donc nous ne pouvons pas faire ça. Cela a une incidence très très négative sur tout le monde.

Je dirai que pendant la première vague, il y avait beaucoup d’incertitude sur ce que ce virus pouvait faire, comment il affecterait nos patients et notre système de santé en général. Nous avons dû prendre des mesures radicales pour garantir la sécurité de nos patients et du système de santé dans son ensemble. Par la suite, parce que nous avons beaucoup appris des vagues précédentes, nous avons pu mettre en place des mesures de sécurité pour nous permettre de continuer à faire des transplantations. Donc, nous avons été en mesure de maintenir nos activités plus ou moins à travers la troisième et maintenant, la quatrième vague. Nous voulons nous assurer que nous continuons à fournir ce service.

L’un des principaux enjeux dont nous devons nous souvenir est que la transplantation n’est pas une procédure élective; elle peut être effectuée à tout moment. Elle doit être liée à la disponibilité d’un organe. Et si un organe ne peut plus être utilisé parce qu’il a passé trop de temps hors du corps, si le système ne peut pas recevoir un organe et l’attribuer de manière appropriée à un receveur parce que les activités de transplantation sont interrompues, nous avons perdu cet organe pour toujours. Et donc, c’est très très important. Et comme Sandra l’a dit, une fois que cette occasion est passée pour nous, le receveur potentiel doit rester sur la liste d’attente. Voilà. Nous devons attendre le prochain organe et nous ne savons pas quand il va arriver. Voilà pourquoi nous avons insisté sur le fait que nous devons continuer à réaliser des transplantations, même au plus fort d’une pandémie, et de la manière la plus sûre possible, car si nous cessons nos activités, nous n’allons pas seulement retarder les choses, mais nous allons potentiellement perdre des occasions qui ne se représenteront jamais. Nous avons donc été très, très vigilants à ce sujet et nous avons heureusement été en mesure de poursuivre nos activités en toute sécurité et nos hôpitaux nous ont soutenus malgré tout le stress. Mais, vous savez, nous devrons voir ce qui se passe à l’échelle de la province  et dans l’ensemble. Pour l’instant, nous allons de l’avant. Nous voulons juste nous assurer que nos patients continuent à bénéficier des greffes. 

Alex Maheux

En effet. Vous faites un travail incroyable. Et, Sandra, vous avez parlé un peu de l’importance des données. Vous faites tous les deux partie de nombreux groupes consultatifs qui discutent des défis de la modernisation des données afin de mieux configurer nos systèmes et de faciliter la façon dont le système est mis en place, essentiellement. Quel est l’état actuel des données en matière de don et de transplantation d’organes, et que pouvons-nous faire pour les améliorer?

Sandra Holdsworth

Je vais répondre rapidement, puis je laisserai le soin au Dr Kim de vous répondre en ce qui concerne l’incidence sur son travail. Pour moi, en tant que patiente, j’ai consulté les données de l’ICIS pendant de très nombreuses années. Je les utilise pour ce que j’appelle mon travail de sensibilisation au don d’organes, parce qu’il semble que ce soit une façon pour les greffés de donner en retour. Et comme nous ne savons pas qui sont nos donneurs, nous ne savons pas qui remercier. Les données qui s’y trouvent sont étonnantes, car elles permettent de savoir combien de personnes attendent, combien d’organes ont été transplantés. Et j’aime beaucoup le fait que l’ICIS fasse des choses que je considère plus conviviales pour les patients et les profanes, comme des infographies. Pour moi, il s’agit d’un partage du savoir et je pense que les infographies et le fait de présenter les données dans un sommaire facile à consulter permettront au grand public d’obtenir plus d’informations sur le sujet et de mieux le comprendre. C’est donc le point de vue du patient, mais je pense que le Dr Kim et l’équipe de transplantation utiliseraient les données beaucoup plus efficacement pour d’autres choses. Je vais le laisser répondre à cette question.

Dr. Joseph Kim

Merci, Sandra. Et je ne dirais pas nécessairement plus efficacement, mais nous les utilisons certainement pour beaucoup de choses. Et je pense que les données sont au cœur de tout ce que nous faisons dans n’importe quel domaine, mais dans le secteur des soins de santé, nous voulons certainement nous assurer que nos décisions sont fondées sur des données. La question est donc de savoir comment collecter ces informations, les gérer et les utiliser efficacement.

Il existe des regroupements d’excellence à travers le pays où certains centres et organismes de dons d’organes font un très bon travail sur ces questions. Mais il n’y a jamais eu d’effort systématique et coordonné à travers le pays pour rassembler tout cela d’une manière qui nous permette de percevoir le système dans son ensemble d’une façon que nous n’avions pas vue auparavant. Il y a donc un registre qui existe depuis le début des années 80, le Registre canadien des insuffisances et des transplantations d’organes, géré par l’ICIS, qui joue ce rôle, mais je pense qu’il ne fait pas de doute qu’il est temps de le restructurer et de le moderniser. Il a très bien rempli son rôle, mais je pense qu’en fin de compte, nous pouvons maintenant aller de l’avant avec un nouveau système qui nous permet de saisir des données qui ne sont pas seulement importantes pour les décideurs et les premières lignes, mais aussi pour les patients. Alors, nous devons réfléchir à des moyens de rendre les données facilement compréhensibles pour permettre à l’équipe de soins et à d’autres personnes de prendre des décisions éclairées. Donc, je pense qu’il va être essentiel de démocratiser les données de manière à les rendre accessibles et compréhensibles pour un groupe d’intervenants beaucoup plus large. Ainsi, le travail effectué actuellement dans le cadre du système pancanadien de données et de l’initiative en matière de dons et de greffes d’organes nous aidera beaucoup à avancer dans cette voie, et il s’agit d’un objectif majeur pour nous.

Alex Maheux

En effet. Et, je l’espère, nous pourrons faire davantage de sensibilisation, même sur des sujets comme celui du balado d’aujourd’hui. J’ai une question pour vous deux. Sandra, commençons par vous. Qu’est-ce que vous voudriez qu’un médecin sache de votre expérience que vous n’avez peut-être pas eu l’occasion de dire avant?

Sandra Holdsworth

Eh bien, parfois, la transplantation n’est pas toujours un gage de guérison, parce que malheureusement, selon la maladie que nous avons, la maladie reviendra. C’est quelque chose que les gens doivent comprendre. Ce n’est pas parce que l’organe fonctionne mal, c’est parce que parfois ces maladies se manifestent à nouveau.

Aussi, comme je l’ai déjà dit, que lorsque j’avais la maladie de Crohn, j’allais rencontrer l’équipe de transplantation qui me disait, pour mes reins, que ma créatine était correcte, que mes résultats semblaient bons. Ou pour mon foie, que mes résultats étaient bons. Tout était bon. Puis je m’en allais, mais je ne me sentais pas bien. J’avais mal, je n’avais pas d’énergie, je ne me sentais pas heureuse. Mais qu’y avait-il d’autre? Comme je l’ai déjà mentionné, les gens du programme sont malheureusement si occupés à attribuer un organe, à le transplanter, à faire le suivi de la personne greffée pendant les six premiers mois, voire pendant un an, bref, c’est tellement lourd que les autres problèmes sont traités par nos dispensateurs de soins primaires. L’équipe de transplantation doit comprendre que ces problèmes se produisent réellement et que d’autres choses peuvent se présenter, comme une hypertension artérielle, un diabète, une atrophie musculaire ou des douleurs dorsales constantes. Par exemple, je me souviens avoir dit que j’avais mal au dos et mon médecin de famille, ou peut-être que c’était l’équipe de transplantation, m’a répondu : « Eh bien, vous êtes partiellement ouverte durant votre transplantation de foie. Ce n’est donc pas étonnant que vous ayez mal au dos, n’est-ce pas? » Mon opération n’avait duré que trois heures et demie, alors que certaines sont beaucoup plus longues.

Alex Maheux

Dr Kim, quel message aimeriez-vous communiquer à vos patients en ce qui concerne votre vision de l’expérience?

Dr. Joseph Kim

Je pense que la chose la plus importante que j’espère que les patients comprennent et qu’ils peuvent également apprécier, c’est que nous voulons vraiment être des partenaires dans leurs soins. Vous savez, nous ne sommes plus à l’époque où le médecin est celui qui vous dit simplement quoi faire. Nous savons que cela ne fonctionne pas et nous savons que cette pratique n’est pas axée sur le patient; nous utilisons souvent le terme « axé sur le patient », mais il faut comprendre ce qu’il signifie. Je pense qu’il signifie que nous devons considérer les besoins, l’expérience et le bien-être général des patients; c’est l’Étoile du Nord qui nous guide dans le domaine des soins de santé. Nous aimons penser que nous le faisons tout le temps, mais comme Sandra l’a dit, nous sommes très occupés à faire des choses au quotidien pour nous assurer que nous prodiguons des soins; par contre, en conséquence, les choses qui comptent vraiment pour les patients sont noyées dans tout ça. Je pense donc qu’il nous faut continuer à nous en souvenir et à faire savoir aux patients que nous avons parfois besoin de quelques rappels aussi. Nous sommes des partenaires dans cette affaire, et les bons partenaires se tiennent mutuellement responsables, mais en même temps, c’est collégial, c’est collaboratif, et c’est la meilleure façon dont les relations thérapeutiques devraient fonctionner à mon avis, c’est une rue à double sens.

Sandra Holdsworth

Je travaille avec les équipes d’Entera Health, et le  cadre à 4 volets (Quadruple Aim) inclut ce partenariat, et la seule façon pour les soins de santé d’aller de l’avant est de réaliser que nous sommes partenaires dans nos soins de santé. Et cela implique également nos principaux aidants naturels, et oui. 

Alex Maheux

Sandra, merci d’avoir été des nôtres aujourd’hui pour nous raconter votre histoire et pour votre incroyable travail de défenseure. Et Dr Kim, merci de nous aider à comprendre comment le système fonctionne et comment nous pouvons l’améliorer.

Sandra Holdsworth

Merci beaucoup de m’avoir reçue. Et Dr Kim, ce fut un plaisir. Et merci à l’ICIS pour tout ce qu’il fait. 

Dr. Joseph Kim

Merci de m’avoir reçu. Et je remercie l’ICIS pour tout ce qu’il fait. C’est un organisme extraordinaire et je travaille avec lui en ma qualité de membre du conseil d’administration du Registre canadien des insuffisances et des transplantations d’organes depuis près d’une décennie maintenant, alors j’ai vraiment eu de belles interactions avec le groupe. 

<Musique>

Alex Maheux

Merci de nous avoir écoutés. Revenez la prochaine fois, car nous continuerons à vous présenter des points de vue utiles et des sujets liés aux soins de santé.

Pour en savoir plus sur l’ICIS, consultez notre site Web : icis.ca. I-C-I-S-point-C-A. Et si vous avez aimé ce que vous avez entendu, abonnez-vous là où vous trouvez vos balados et suivez-nous sur les médias sociaux.

Cet épisode a été produit par Meagan Foreman et notre producteur exécutif est Jonathan Kuehlein. 

Ici, Alex Maheux. À la prochaine!

<Fin de l’enregistrement>

 

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